cinéma

Les mauvais joueurs de Frédéric Balekdjian

[3.5]

 

 

    On parle beaucoup en ce moment des importations d’articles textile en provenance de la Chine suite à la suppression des quota qui jusqu’à présent tentaient de limiter la déferlante. Des milliers de petites mains payées à coups de lance-pierres fabriquent ainsi des milliers d’articles expédiés et vendus en Occident.

Ces ouvrières chinoises travailleuses et serviles, on ne les trouve pas que dans leur pays d’origine manifestement. Mais aussi en plein Paris dans le quartier du Sentier où cohabitent presque malgré elles deux communautés : chinoise dans les ateliers clandestins et arménienne dans la fourniture des tissus.

 

     Le premier film de Frédéric Balekdjian nous plonge de manière frontale dans cet univers de tensions violentes en collant aux basques de Vahé Krikorian (Pascal Elbé absolument épatant dans son rôle de ténébreux fragile et lucide). La vie de Vahé part à vau-l’eau : la boutique de son père avec qui il bosse va fermer, trop d’impayés, trop de difficultés ; sa relation avec Lu Ann une jolie et déterminée chinoise est plutôt dans les basses eaux ; et ce n’est pas les arnaques au bonneteau montées avec son frère Toros et Sahak qui peuvent lui redonner espoir et baume au cœur. Dans ce vide et cette absence d’horizon, Vahé prend sous sa protection l’incontrôlable et nerveux Yuen, le jeune frangin de Lu Ann, arrivé clandestinement en France, en dette avec ses passeurs, farouche et intrépide comme un jeune animal. Le climat se dégrade progressivement, les affrontements se multiplient. Jusqu’où tout cela ira t-il, quand cela s’arrêtera t-il ?

 

    Largement inspiré par sa propre existence, Frédéric Balekdjian avoue que « [son] film est aussi né de mon goût pour les films de truands tragiques, de Casque d'Or de Jacques Becker à Mean streets de Martin Scorsese : des films qui parlent de gens simples qui luttent pour survivre. Howard Hawks, Raoul Walsh, Anthony Mann sont des cinéastes qui ont nourri mon imaginaire et mon éducation cinéphile. Il y a une énergie et une vitalité chez eux qui me touchent vraiment. »

Une énergie constamment présente dans Les mauvais joueurs, dès la première scène palpitante et tendue d’une partie de bonneteau en pleine rue où la montée des enchères répond à celle des défis. Les poursuites et les rixes ne manquent pas, souvent teintées de poésie et d’humour comme cette bagarre qui vire mal, soudain interrompue par l’arrivée de quelques flocons de neige.

On est happés par cette violence sous-jacente et latente que l’on sent prête à exploser en permanence. La mise en scène sèche et resserrée, qui rejette psychologie et pathos, contribue à l’installation de ce climat délétère et malsain.

Si ses origines permettaient à Balekdjian d’appréhender la communauté arménienne, il s’est livré à un véritable travail de recherche et de documentation sur le milieu chinois, avec le souci d’éviter tout archétype sociologique et de proposer des personnages crédibles et réalistes.

 

    Le film est aussi une réflexion sur la place de l’individu au sein d’un communauté donnée. Les personnages marginaux et exclus refusent en bloc les règles du groupe qu’ils veulent intégrer : Vahé et ses potes sont bien loin du folklore arménien, Lu Ann refuse la vie de couple et Yuen de régler ses passeurs. En cela, ils sont bien tous des mauvais joueurs.

Premier film que Balekdjian reconnaît comme « un acte politique dont le sujet traduit forcément sa vision du monde », Les mauvais joueurs malgré quelques imperfections nous emporte sur les traces de ses personnages forts et jamais caricaturaux. C’est donc plutôt une réussite et la découverte d’un cinéaste prometteur.

 

Patrick Braganti

 

Film français – 1 h 25 – Sortie le 20 Avril 2005

Avec Pascal Elbé, Simon Abkarian, Isaac Sharry

 

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