cinéma

Nobody Knows  de Kore-Eda Hirokazu   

 

 

     Ce film de Kore-eda Hirokazu qui évoque un fait divers survenu à la fin des années 80 (et qui avait à l’époque bouleversé les japonais), présente l’univers un peu autarcique de quatre enfants livrés à eux-mêmes dans Tokyo. En effet, leur mère, attachante mais immature, ayant décidé sans leur en parler de vivre pour elle-même (« j’ai bien le droit d’être heureuse ! »), les abandonne petit à petit (elle est partie en voyage), pour finir par ne plus donner de nouvelles. Ils s’adaptent alors à leur nouvelle existence sans adultes, sous la tutelle de l’aîné, Akira, qui prend son rôle très au sérieux. Et pendant que les enfants restent confinés dans le 40m² du studio (n’ayant pas été « déclarés » auprès des propriétaires), il gère prosaïquement le quotidien, s’occupant de payer les factures, de faire les courses au plus économique, et de sécuriser tant bien que mal ses frères et sœurs… Mais les choses vont se déliter peu à peu, Akira commençant à s’essouffler dans son rôle, ingrat, de responsable de famille, petit adulte triste avant l’heure, aspirant aussi à vivre comme les autres garçons de son âge. Et l’équilibre fragile du groupe va petit à petit s’effondrer…

 

    Ceci étant, malgré la gravité du sujet, le film ne tombe à aucun moment dans le pathos et/ou le manichéisme. Et il y a aussi des moments emprunts de gaieté et d’insouciance. Le spectateur est surtout placé à hauteur d’enfant, et suit la progression de l’histoire sans être tenté de juger hâtivement (d’autant que le personnage de la mère est présenté comme une femme attachante !). A l’instar d’un Truffaut ou d’un Doillon, Kore-eda Hirokazu sait ainsi nous immerger dans le monde de l’enfance, avec justesse, tendresse et pertinence.

 

    Bien évidemment, il y a peu de suspens dans l’histoire, le spectateur se doutant que l’équilibre de cette famille est bien précaire, que les choses risquent de mal évoluer, et se demandant plutôt quand, et comment, « l’incident » qui fera tout dérailler surviendra… d’où le climat de plus en plus oppressant du film, que viennent heureusement aérer les quelques scènes en extérieur. Lors de la fin, que vient ponctuer – enfin ? – un drame, place est alors laissée à la pudeur, à cette émotion maîtrisée parfois propre à l’enfance, et qui fait ici penser au climat du film « Le tombeau des lucioles ».

 

    Entre fiction et documentaire, sans esbroufe ni surlignement (le traitement est en effet plutôt du genre minimaliste…), avec des instants magiques où les enfants donnent libre cours à leur spontanéité (l’interprétation est d’ailleurs à tout moment exemplaire !), mais aussi avec d’autres instants beaucoup plus violents (mais d’une violence rentrée…), avec aussi des détails du quotidien apparemment insignifiants et qui pourtant en disent long, ce film sur une enfance brisée bouleverse et laisse une empreinte durable sur le spectateur. A noter également que Yagira Yuya qui joue le rôle d’Akira a reçu la palme d’or d’interprétation masculine au dernier festival de Cannes.

 

 

Cathie Maillot

 

Japonais – 2 h 21 – Sortie le 10 Novembre 2004

Avec Yagira Yuuya, Kitaura Ayu, Kimura Hiei