cinéma

Uzak  de Nuri Bilge Ceylan   

 

 
 

    Le premier plan de ce film montre un paysage de neige traversé par un homme porteur d’un sac de voyages qui vient se poster auprès d’une route pour y arrêter une voiture qui le conduira à Istanbul. Cet homme, c’est Yusuf (Mehmet Emin Toprak, décédé depuis dans un accident de voiture), chômeur campagnard à la recherche de travail parti tenter sa chance à Istanbul et y trouver refuge chez son cousin Mahmut (Muzaffer Ozdemir), photographe dilettante et légèrement déprimé.

 

    A l’instar de la première scène plutôt lente filmée en un long plan-séquence, le reste du film est aussi lent, pas mal avare en dialogues et en actions. Peu importe, là n’est pas l’intérêt de Uzak qui privilégie l’intensité des regards et la notion de passage. En effet, hormis les deux protagonistes, c’est incroyable le nombre de personnes qui traversent le film, et plus précisément son propre cadre. Ainsi le long de la rue en pente où réside Mahmut et également dans les parcs publics ou sur le port, le réalisateur nous donne à voir ces déambulations, très cinématographiques pour le coup. Il faut aussi souligner le côté très esthétique du film : d’abord parce qu’il offre des vues enneigées ou grisâtres d’Istanbul loin du cliché touristique habituel, ensuite parce qu’il y a un choix subtil de cadrages et d’emploi des couleurs, avec une mention spéciale lors de l’escapade en Anatolie. 

 

    Au-delà de l’attrait visuel du film, du jeu de ses deux acteurs, justement récompensés du Grand prix d’interprétation masculine à Cannes l’année dernière, c’est bien le message véhiculé par Uzak et son traitement original qui emportent l’adhésion définitive.

Car ce couple incongru constitué par les deux cousins réunis un peu malgré eux se révèle très vite comme une juxtaposition de deux individus murés dans leurs problèmes et leur égoïsme qui les empêchent de regarder et d’entendre l’autre. Bien malin celui qui pourra dire lequel des deux est en fait le plus mal. Certes, Yusuf éprouve les pires difficultés à trouver un emploi, mais en même temps cela ne semble guère l’affecter, et il finit par abuser du confort presque bourgeois de son cousin, dont il attend une intervention bienfaitrice. Celui-là, désabusé, séparé d’une femme en partance pour le Canada et sans doute fragilisé par une histoire à peine évoquée d’un avortement difficile, n’est pas en mesure de venir en aide à son cousin, vu comme le péquenot inculte et peu soigneux du bien des autres.

 

    C’est en fait infiniment triste et presque douloureux ; aucune échappatoire ne semblant être possible ici. Le dernier plan laisse Mahmut dans un doute et un mal-être sans doute plus profond. Mais comme tout ce qui est triste, c’est souvent très beau et très fort. Auréolé du Grand Prix à Cannes en 2003, Uzak est un enchantement pour le regard et pour l’esprit et redonne espoir dans le cinéma de Turquie, pays charnière et paradoxal, à la société écartelée.

 

Patrick