cinéma

Le voyage en Arménie de Robert Guégiguian

[3.0]

 

On se doutait bien qu’avec un tel patronyme le cinéaste marseillais ne puisait pas ses origines du côté des pays nordiques, mais bien plutôt quelque part vers l’est de la Turquie. Longtemps cantonné à des films à caractère social et politique prenant tous place dans la cité phocéenne, Robert Guédiguian, qui finissait par devenir prévisible et sans surprises, a récemment investi un nouveau champ en laissant tomber les romances de l’Estaque pour interroger des thèmes comme la filiation, le passage du temps dans son appropriation des dernières années de Mitterrand (Le Promeneur du Champ de Mars en 2004). Aujourd’hui, c’est à travers ses propres racines arméniennes qu’il questionne le sentiment d’appartenance – à un peuple, une culture – et comment ce sentiment-là parfois enfoui, nié, refoulé mais toujours latent façonne une personnalité et construit une vie.

 

Initié par la femme du cinéaste, qui n’est autre bien sûr que l’actrice Ariane Ascaride, Le Voyage en Arménie est celui entrepris par Anna, que joue la comédienne, cardiologue rigide et autoritaire, pétrie de certitudes, pour aller rechercher son père gravement malade, parti retrouver sa terre originelle.

La bonne idée du film, c’est d’avoir fait d’Anna un personnage presque antipathique, froid et déterminé, qui ne semble nullement travaillé par ses racines. Elle envisage son séjour à Erevan sous les pires auspices, encombrée de ses idées reçues et décidée à exporter et à appliquer aux autochtones son dirigisme et son sens de l’organisation. La rencontre d’un vieux chauffeur de taxi, d’une jeune coiffeuse voulant fuir le pays et voyant en Anna sa bouée de sauvetage, et surtout d’un militaire exilé de Marseille ayant refait sa vie à Erevan, va petit à petit dans la douleur et la résistance faire vaciller et douter Anna. Si le voyage a son côté initiatique – mais sans doute Anna a t-elle dépassé le temps de l’initiation comme lui suggère sa fille avant son départ -, il lui permet surtout d’inscrire en elle un sentiment jusqu’alors inconnu ou tenu à distance : la capacité de douter, donc celle de se poser des questions et, par ricochet, de s’ouvrir au monde.

 

Le Voyage en Arménie épouse dans sa forme multiple et déconstruite, presque brouillonne, le surgissement du doute : tour à tour journal intime, documentaire, film d’aventures proche du western, mélo. Les différents genres ainsi mis en scène, qui auraient sans doute mérité plus d’approfondissement pour ce qui est du rocambolesque avec l’intrusion des milieux mafieux, exprime la transformation d’Anna qui passe d’une vision touristique – pour ne pas dire méprisante et décharnée – au tissage de liens avec le pays et quelques uns de ses habitants.

 

On est contents de retrouver Guédiguian en tentative de renouvellement mais le sentiment est tout de même tempéré : même s’il met en scène une héroïne rétive, nul ne peut ignorer vers quoi le film nous conduit. Le personnage du père, archétypal et sonnant faux, modère l’enthousiasme pour un film vaste et éparpillé qui traite aussi de la corruption omniprésente et de la toute-puissance de business dans lesquelles tente de surnager l’action humanitaire.

Et au final, le bavardage sentencieux, convenu et grandiloquent, reprend ses droits au détriment d’une action pourtant riche en significations sur la marche d’un pays en pleine reconstruction à l’ombre du mont Ararat, si proche et pourtant sur le territoire turc.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 2 h 05 – Sortie le 28 Juin 2006

Avec Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Simon Abkarian, Jalil Lespert