cinéma

Les Témoins de André téchiné

[5.0]

 

 

André Téchiné réussit avec Les Témoins son pari d'évoquer homosexualité et apparition du SIDA avec intelligence et finesse, sans jamais forcer le trait, tomber dans le didactisme où les grands sentiments. Cela grâce à des personnages humains, attachants et touchants, interprétés par de bons acteurs.

 

Tout commence lorsque Manu, beau et aventureux jeune homme interprété par Johan Libéreau, décide de monter à la capitale. Il rejoint sa soeur Julie (Julie Depardieu) qui étudie le chant lyrique à longueur de journée dans un hôtel de passe. Adrien, médecin ballotté de déceptions sentimentales en désillusions affectives s'entiche un soir du jeune homme. Adrien est un ami de Sarah (Emmanuelle Béart), libérée auteure de contes pour enfants. Sarah vient d'avoir un bébé avec Mehdi (Sami Bouajila), zélé, consciencieux et séduisant responsable de la brigade des moeurs de la police parisienne. Le couple de Sarah et de Mehdi est unit par sa liberté et sa différence. Leur origine culturelle et sociale est très éloignée, et ce n'est pas leur enfant qui les rapproche, car Mehdi est un père attentif alors que Sarah se révèle une mère exécrable. Pour ne plus entendre des hurlements qui la déconcentrent dans son travail, elle met des boules quiès et laisse le bébé s'égosiller. Les espaces entrent eux laissent la place aux aventures, dont certaines vont se révéler inattendues. Après avoir ainsi constaté qu'elle n'aime pas les enfants, Sarah décide d'écrire des romans pour les grands. Tous moins Julie se retrouvent dans la magnifique maison de la mère de Sarah, dans un coin de la côte d'azur. Les ingrédients sont en place pour une histoire d'amours croisés entre couples et sexes. La première partie du film, "le printemps", est un concentré de vie ensoleillé de jeux de séduction dont Manu est le centre.

 

Manu, que Yohan Libéreau interprète avec justesse et tendresse, est touchant de sincérité et de simplicité. C'est un garçon entier, que sa naïveté consciente et assumée rend encore plus attachant. Michel Blanc est génial en vieil homo romantique, grognon, loser et pathétique, puis transfiguré par sa lutte contre le SIDA qui devient le but de sa vie. L'échec de sa relation platonique avec Manu est écrite d'avance, prévisible pour tous sauf pour lui. "Ah trahison, ce n'est pas le démon, mais l'ange qui poignarde!", s'exclame t-il devant Manu, au milieu d'autres exclamations de désespoir, quand il apprend la relation qui l'unit à Mehdi. En effet, le thème de l'homosexualité est abordé à travers Sami Bouajila et son rôle de flic de la brigade des mœurs qui tombe sous le charme de Manu. Un pied de nez jouissif dont Téchiné ne se prive pas, et il aurait eu tort. Le jeu ambigu de Bouajila sert à merveille le propos, et l'acteur sort sans aucun doute grandi de sa performance.

 

Puis, l'histoire d'amour passionnelle et charnelle de Mehdi et de Manu est violemment interrompue par la maladie. C'est Adrien qui découvre d'inquiétants symptômes sur le corps de Manu au beau milieu d'une pathétique et violente scène de jalousie. C'est le début de la deuxième partie du film: à l'insouciance du printemps succède la violence de la guerre. De la guerre contre la maladie, bien sûr, qui transforme Manu en pâle copie de ce qu'il a été. Cette guerre est à la fois une drôle de guerre et une guerre froide. Une drôle de guerre parce que l'ennemi est là, les blessures infligées à Manu en sont la preuve, mais pourtant nul ne sait qui il est. Une guerre froide parce que le conflit n'est pas ouvert et frontal, mais insidieux.

Adrien se lance à corps perdu dans la bataille pour la sensibilisation et la prévention. Le médecin un peu largué trouve un but à sa vie et fait preuve d'une force que peu auraient suspectée. C'est lui qui saisit avec le plus de force l'ampleur du danger et qui agit en conséquence.

 

Le film montre sans effets de styles les difficultés à appréhender la terrible réalité de la maladie. De Julie qui demande à Adrien, venu lui annoncer la maladie, si "c'est grave", si "ça se soigne" au collègue d'Adrien qui affirme, alarmiste: "on annonce même le chiffre d'une contamination par jour!", personne n'est en mesure de saisir la réelle ampleur de l'épidémie. Téchiné ne fait que survoler les réactions déplacées et ridicule que l'apparition du SIDA a provoquées dans les sociétés occidentales. Il le fait à travers un documentaire qu'Adrien -encore lui- projette à des collègues et dans lequel nous apprenons la panique aux Etats-Unis et l'arrêt de certains cours de respiration artificielles par ignorance des moyens de propagation du virus.

Faut-il regretter que le film n'insiste pas plus sur les terribles insinuations dont on fait l'objet les homosexuels, sur l'incompréhension et le rejet dont ont fait preuve certains malades? Certainement pas : ce n'est tout simplement pas l'objet du film, qui se "contente" à juste titre de l'histoire et de ses personnages. Les images "réelles" insérées dans le film à travers les exposés d'Adrien sont suffisantes pour ancrer l'histoire du film dans la réalité, tout en évitant l'écueil de l'artificiel. Le choix d'articuler la maladie autour de vrais personnages, avec une réelle épaisseur, donne toute sa force au propos. Même si l'apparition de la maladie jette un voile sur leurs vies.

 

L'arrivée de la maladie est montrée comme un événement absurde, venant interrompre le cours normal de la vie, les finalement bien innocents batifolages des personnages. C'est quelque chose qui n'aurait pas du arriver, qui n'a pas sa place. Comme un symbole, alors qu'Adrien annonce la maladie de son frère à Julien, un musicien vient lui faire le reproche de faire perdre du temps à tout le monde pour une raison qui n'en vaut certainement pas la peine. Même surpris, tous se doivent de vite réagir. Mehdi et Sarah se trouvent face à l'angoisse de la séroposivité.

 

Puis, Sarah prend conscience du drame qui se joue et de leur rôle d'acteurs, et décide d'écrire un témoignage. Des passages lus par la voix pressée d'Emmanuelle Béart illustrent magnifiquement plusieurs moments du film, notamment ceux où Mehdi fait découvrir les joies des airs à Manu puis, plus tard, à sa sœur. Emmanuelle Béart est sobre, joue de ses yeux magnifiques et de sa moue d'enfant gâtée, bien sûr, mais avec plus de discrétion qu'en d'autres films.

 

Personne ne pleure lorsque Manu s'éteint. Parce que cette mort est au dessus de leur entendement à tous, qu'elle est contre toute logique, parce que chacun est pris dans le tourbillon de sa vie.

 

Puis l'été arrive, dernier chapitre de cette histoire. Comme un miroir, le film se termine sur un retour dans la maison de la mère de Sarah, Manu remplacé par un bel Américain. La vie continue, la vie semble avoir effacé la disparition de Manu. L'amant américain d'Adrien donne une dimension internationale à la maladie. Il est comme un messager qui vient donner des nouvelles du front de New York, "où les homos tombent comme des mouches".

 

Adrien Potocnjak-Vaillant

 

Film français – 1H52 – Sortie le 20 mars

Avec Michel Blanc, Emmanuelle Béart, Sami Bouajila, Yohan Libéreau