cinéma

Les yeux clairs de Jérôme Bonnell

[3.0]

 

 

     Le premier long métrage de Jérôme Bonnell, jeune réalisateur du Chignon d’Olga – titre rohmérien en diable – nous avait plutôt emballés. Son mélange de drôlerie et de gravité pour aborder des sujets aussi douloureux que l’absence et le deuil révélait un cinéaste sensible et doué. Un éloge mérité rend toujours difficile la réception du second travail, la barre mise haut et l’attente en haleine. Cet espoir exigeant est aujourd’hui un peu déçu par Les Yeux clairs, film mi-figue mi-raisin qui flirte avec le réel et l’irréel.

 

    Fanny (Nathalie Boutefeu, actrice fétiche de Bonnell croisée aussi chez Assayas, Chéreau et Desplechin ) est une jeune fille déséquilibrée, fragile psychologiquement, qui oscille entre enfance – thème cher au réalisateur – et âge adulte. A sa sortie de l’hôpital psychiatrique que l’on apprend au détour d’une réplique, Fanny vient vivre chez son frère Gabriel et sa femme. L’ambiance est loin d’être au beau fixe, le comportement imprévisible et déroutant de Fanny crée une atmosphère électrique que la découverte par Fanny de l’infidélité de sa belle-sœur finit de pourrir. Malgré ce climat pesant, très inscrit dans le réel, Bonnell n’en oublie pas les clins d’œil à ses cinéastes de prédilection comme Chaplin ou Keaton. Cette première partie est truffée de scènes burlesques comme la cachette dans l’armoire, le compte rendu d’une émission sur les mœurs amoureuses des dromadaires, la tentative d’achat d’une trompette.

Il est aussi beaucoup question d’un père parti en Allemagne, mort et enterré là-bas dont le manque de souvenirs pèse sur la jeune femme. Fanny, pour qui la vie chez son frère est devenue étouffante, prend la fuite en direction de l’Allemagne pour y trouver la tombe de son père. Dans sa quête au fond des forêts germaniques, elle rencontre Oskar un bûcheron avec qui elle noue une relation de plus en plus intime.

 

    L’escapade hors de France bascule Les Yeux clairs dans une veine irréelle proche d’un conte de fées. Bonnell qui avoue aussi avoir voulu filmer l’histoire d’amour d’un homme et d’une femme ne parlant pas la même langue se dit aussi influencé par les contes de Grimm. L’absence de dialogues entre Fanny et Oskar, dans un pays de forêts vide et désincarné, renforce ainsi l’aspect imaginaire et plonge le film dans un mutisme seulement entrecoupé par les rires et les bruits de la nature omniprésente : oiseaux, torrents, … Comme on a pu le voir récemment dans Locataires, le langage des corps et des signes – ici la superbe musque de Schumann en est un de premier plan - supplée la parole et le discours. L’inutilité soudaine des mots permet peut-être à Fanny de transcender son état et de s’ouvrir à Oskar.

 

    Le diptyque de Bonnell qui oppose réel et imaginaire, agitation et sérénité pêche avant tout par sa longueur : initialement prévu pour un court métrage, le projet de longue date qui a attendu la disponibilité de Nathalie Boutefeu s’est métamorphosé en long. Si la première partie convainc – nous sommes là dans un univers que le cinéaste a déjà exploré dans Le Chignon d’Olga -, la seconde moins probante distille même quelque ennui.

Néanmoins, cet ancien assistant de Michel Deville a incontestablement un vrai regard et vient en toute logique de recevoir le prix Jean Vigo. Celui d’un homme que les conséquences de la solitude et de la perte ne cessent d’obséder et d’inspirer.

 

Patrick Braganti

Film français – 1 h 27 – Sortie le 27 Avril 2005

Avec Nathalie Boutefeu, Marc Citti, Judith Rémy

 

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www.lesyeuxclairs-lefilm.com

 

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