roman

André Blanchard - Contrebande

Le Dilettante - 320p, 20€

[3.5]

 

 

André Blanchard vit à Vesoul où il exerce la profession de gardien dans une galerie d’art contemporain. Curieusement c’est également un écrivain. C’est un type un peu compliqué qui, volontairement ou pas, prend plaisir à vouloir se gâcher, ne semblant pas faire le moindre effort, la moindre concession que ce soit pour vivre de sa plume même un petit peu. D’ailleurs, il parvient tellement à demeurer dans son coin et maussade, qu’il a beaucoup de mal à être publier ce bonhomme là ! Le trouver dans le commerce (avant son renflouage par le Dilettante) a tout de la pêche vaine tant il y a de poissons mornes, nageoires ouvertes, étalés mollement sur les tables de nos libraires.


André Blanchard est ici où là souvent comparé à Paul Léautaud, mais plus qu’un journal il tient lui des carnets expurgés du raz de l’intime. En fait, il tâche d’oublier les journées en leur substituant de quoi exister sans avoir à les vivre. Voilà donc moult considérations consignées : sur les hommes, le monde moderne, plus que sa femme ; son chat et surtout la littérature… 

Pour que les choses soient clairs André Blanchard est quand même assez réac, sans trop de courroux tant il n’est candidat à rien, on bondit souvent intérieurement à sa lecture. C’est également derrière son coté Cioran de Vesoul affligé, un grand lecteur mais sceptique et rencogné, avec une vision de la littérature bloquée dans l’entre deux guerres. La période à beau être d’une richesse indéniable, de Proust à Mauriac en pensant par L.F. Céline il y a bien de la matière à triturer encore un peu, mais enfin, au bout d’un moment on se demande bien comment les affres de la modernité ont réussies à passer aussi haut au-dessus de la tête d’André Blanchard. Un peu comme les vilains taggeurs qui, on se demande bien comment, eux parviennent à saloper les vieilles pierres de Vesoul. Bon, donc quand il parle de Mauriac ou de Céline, il est parfois futé, il a par exemple bien raison de prétendre que tout Céline est déjà dans Le Voyage... tout Céline, et même la saloperie : « Tout est dit dès le départ et les pamphlets ne sont que sous parties en quelques sorte inexcusables en ceci : être passés du général au particulier, ce qui est le mécanisme de la délation. » Pour le contemporain et dès que l’on ressort des « golden thirties », manque de pot l’oulipo c’est pas son truc, c’est un dézingage en règle ; réjouissant quand il s’attaque à des cibles qui ne demandent qu’à être visées, Sollers, Bobin, Delerm père et fils, un peu plus problématique quand il s’attaque à François Bon (Qui n’est pas Bon) ou Pierre Michon, honnête quand il évoque Thierry Metz et chutant gauchement dans un précipice d’incompréhension quand il entend feu Christophe Tarkos à la radio.

 

Ben voilà notre contrarié ami se trompe car le nœud du truc est bien là ! Ce qui fait qu’il y a de la littérature (ou de la poésie) c’est bien cette histoire avec la langue aussi, et le Tarkos est bien une langue dans sa singularité même. Loin du moderne vieillot à concept en plastique, on ne demande à personne d’autre de la parler cette langue, même pas de la décrypter vraiment, mais de se laisser prendre par sa musique, oui. D’ailleurs ce qui fait la saveur et le prix de son livre André Blanchard le sait bien, c’est sa langue à lui : le Blanchard, cette voix un peu hors de mode et dans son monde, délicieuse de désuétude parfois, avec ces petits ressacs de phrases courtes qui interpellent façon mains en l’air. Bon voilà sachez quand même que Blanchard dézingue mais jamais avec méchanceté et mesquinerie, et puis son coté ratiocineur un peu à coté attaquant le moderne n’est pas si désagréable que ça à la longue. D’ailleurs en parlant de moderne et le sourire en coin on imagine, la confrontation ou plutôt le choc frontal de ce type refermé, fulminant dedans, avec le supposé public d’une galerie d’art contemporain : croquignolet carambolage entre le chicaneur chafouin et un casuel rassemblement de quidam à forte propension : comment dirai-je c’est invraisemblable ma chère comment l’âme s’exprime pleinement dans cette installation à base de pots de yaourts triturés !

 

Philippe Louche

 

Date de parutionfévrier 2007