roman

José Carlos Somoza - Clara et la pénombre      

Actes sud – 2003

 

 

    

    Dans un futur proche, en 2006, le marché de l’art a décidé de mettre en exergue « l’art hyperdramatique » qui consiste à utiliser le corps humain comme toile ; les artistes, convaincus dans leur mégalomanie de faire de la vie de l’art et vice-versa, manipulent les modèles jusqu’à les transformer en pantins aux chairs anonymes et vidées d’émotions. Malgré cela, Clara, jeune modèle espagnole, est fascinée par ce qu’elle voit avant tout comme une mise en lumière, et rêve d’être peinte par Bruno Van Tysh, le précurseur de ce courant. Mais la frontière qui sépare le génie de l’horreur n’est pas loin, le jour où l’une des œuvres humaines est détruite et massacrée dans un nouveau rite « artistique »…

 

José Carlos Somoza, cubain exilé à Madrid, a quitté son métier initial de psychiatre-psychanalyste, pour s’adonner exclusivement à l’écriture pour notre plus grand bonheur. Et après « la caverne des idées » parue en 2002 (polar néo-platonicien échappant à tous les genres), il nous livre avec « Clara et la  pénombre » un autre thriller métaphysique inquiétant, mâtiné de réflexions sur la beauté, l’éphémère et le prix de la vie.

 

    Dans cette histoire que n’aurait pas renié un Lynch, Somoza s’intéresse aux mises en abymes qui fascinent et effraient, mélange ambiguë de lumière et de clair-obscur – et s’interroge sur les dérives de l’art, et de notre société qui veut tout montrer, fascinée qu’elle est par la jeunesse et la beauté, et où l’exhibitionnisme est paré de toutes les vertus… On pense inévitablement à des artistes comme Orban, ou encore Sophie Calle, qui ont choisi de se mettre elles-mêmes en scène, et ce, depuis des années, mais on pense aussi à la Télé-réalité… Et c’est bien toute la qualité d’un écrivain contemporain futuriste que d’arriver par la fiction à retranscrire des idées qui nous touchent pourtant de près au présent.

 

    L’écriture limpide, et parfois compulsive de Somoza, qui laisse libre court à de multiples interprétations, colle parfaitement au sujet ; à l’instar d’un Jauffret, on a parfois l’impression que les mots se diluent pour mieux laisser parler l’absurdité des vies et la dilution des existences. L’envers du décor fascine, et pourtant la frontière entre la démarche artistique et l’imposture est mince. Par l’intermédiaire de Clara, on comprend aussi qu’on peut être d’autant plus attiré par la clarté et la transparence qu’il y a quelque chose en soi qui n’y croit pas, mais qu’on refuse de voir. Avec Somoza, écrivain trop lucide, il n’est de toute façon d’expression que fragmentaire, partielle… et toute lumière cache son ombre… Qu’est-ce qui est réalité, qu’est-ce qui est illusion, tout cela n’est-il pas un jeu de dupes et de miroirs, dont l’art sait mieux que quiconque extraire les reflets ?! Mais comme le dit le personnage du livre lui-même, « toute vérité est dans la pénombre ». Alors forcément, ce livre inclassable laisse planer plus de questions que de réponses, et on n’ira d’ailleurs pas s’en plaindre.

 

Cathie