roman

Paula Fox - Le dieu des cauchemars    1/2

Editions Joëlle Losfeld - 224 p, 18.90€ - 2004

 

   

    Il faut vraiment remercier Jonathan Franzen : non seulement parce que Les Corrections est un des meilleurs romans américains de ces dernières années, mais aussi parce qu’il a aidé avec d’autres à faire sortir de l’ombre un autre écrivain du début du vingtième siècle, Paula Fox dont les éditions Joëlle Losfeld vont prochainement publier l’intégralité de l’œuvre, soit six romans – la majeure partie de son travail étant constituée par des livres pour la jeunesse.

 

    Le Dieu des cauchemars, récit considéré comme le plus tendre dans sa bibliographie, est avant tout un roman d’initiation, de perte de l’innocence par l’entrée dans le monde des adultes et l’ouverture aux autres. Le thème de l’innocence et de la prise de conscience, aussi douloureuse soit-elle, est récurrent chez Paula Fox.

Au nord de l’état de New York, vit Helen Bynum avec sa mère Beth, presque en autarcie, ne voyant personne hormis les clients de leurs bungalows. Lincoln, le père et mari, les a quittées il y a bien longtemps n’ayant pas supporté la faillite de son élevage de chevaux, des animaux pour lesquels il voue une véritable passion, la seule de sa vie d’ailleurs. A l’annonce de sa mort, Beth décide qu’il est grand temps pour Helen de quitter la maison, prétextant d’aller chercher à La Nouvelle-Orléans sa tante Lulu pour qu’elle vienne aider sa sœur.

Même si les deux sœurs ont été danseuses chez Ziegfield au temps de leur jeunesse insouciante, leur personnalité et leur manière de voir la vie sont en totale opposition, ce que constate Helen à son arrivée. N’acceptant pas l’hospitalité de sa tante Lulu qui a sombré dans l’alcool, elle trouve une chambre chez un couple illégitime Catherine, dactylo au service d’auteurs, et Gérald, poète libre, entourés d’amis cultivés. La littérature, le cinéma et la mémoire de Marcel Proust sont souvent les sujets de conversation de cette bande d’amis bohèmes et disparates. Dans cette ville métissée, encore imprégnée de la culture française, Helen, qui se lie d’amitié avec Nina, jeune fille passionnée et entière, fait l’apprentissage de la vie. Et se met à réfléchir sur sa propre existence, la relation avec sa mère, ses aspirations et sa place dans le monde. Un monde qui commence à vaciller, avec en toile de fond l’évocation du début du second conflit mondial et la fin annoncée de l’ordre ancien.

Pendant ces quelques années où subsistent toujours les stigmates de la ségrégation entre les blancs et les personnes de couleur et où la misère constitue le lot quotidien de beaucoup, Helen rencontre les personnes qui vont l’aider à grandir et fonder son avenir, y compris son futur mari Len.

 

    Paula Fox excelle à décortiquer les sentiments humains et les tourments de l’âme, caractéristique régulièrement affichée par les meilleurs romanciers américains, à l’instar de Carson McCullers par exemple. Ecrit à la première personne, le roman est traversé de nombreuses interrogations, que les longues discussions entre Helen et Nina permettent d’exprimer. La confrontation avec la naissance du désir et la richesse des rencontres transformées en amitiés marque la prise de conscience de Helen et son éloignement, sinon la rupture, avec l’innocence. D’ailleurs, le livre qui s’achève par la mort de Beth révèlera un dernier secret à Helen, lourd de sens.

 

    A quatre-vingt une années, Paula Fox connaît un sursaut de notoriété qui fait ironiquement rebondir sa vie. Il convient donc d’en profiter à notre tour et de s’approprier l’univers humain et chaleureux de ce grand auteur.

 

Patrick Braganti

 

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