roman

Grégoire Bouillier - L'invité mystère    

Editions Allia - 2004

 

 

 

    Il y a deux ans, on avait lu et aimé Rapport sur moi de Grégoire Bouillier, parce que c’était intense et tranquille, parce qu’on avait ri et aussi parce qu’on avait été touché par ses mots et son humour désespéré.

Alors oui, aujourd’hui on a très envie de découvrir cet Invité mystère (Editions Allia) : ce titre, cette bouteille de vin intrigante en couverture, cette quatrième de couv pas bavarde (2 lignes : "On croit penser à tout et on oublie le livre posé sur la table de nuit"), tout ça attire l’œil et excite les neurones.

 

    L’auteur est invité à une soirée d’anniversaire d’une artiste contemporaine qu’il ne connaît pas, Sophie Calle, pour être son invité mystère. Ce micro-événement, banal et anecdotique en apparence, va pourtant permettre de tourner une page amoureuse douloureuse, et de donner de manière aveuglante et subite une direction nouvelle à une existence. On est en 1990, Grégoire Bouillier n’a encore rien publié, il se débat avec le pourquoi sans réponse d’une liaison brutalement suicidée.

A cause d’un bouquet de roses rouges et blanches, à cause d’une phrase prononcée par son ex, à cause de la disparition de Michel Leiris en écho à celle de cette amie, et parce qu’il aura furtivement échangé ce soir-là quelques propos sur la vanité et la vacuité des ambitions avec une fille aux boucles d’oreille tintinnabulantes, le narrateur lira Mrs Dalloway de Virginia Woolf et comprendra pourquoi cet amour s’est terminé. Et pourquoi il peut, réellement, se remettre à vivre.

 

    Grâce à la simultanéité de ces circonstances, tout prend alors sens. Soudain, comme un voile qui se déchire enfin, tout se met en place. Les réponses tant attendues sont fulgurantes, elles explosent dans l’air comme un coup de revolver. Il voit clair dans son existence ; et d’ailleurs c’est seulement maintenant qu’il peut décider de remplacer l’ampoule claquée de sa salle de bain : après des mois de nuit, c’est seulement maintenant qu’il peut se voir, dans ce monde. Et se regarder dans le miroir de cette même salle de bain. Voir sa gueule en pleine lumière et ne plus fuir.

Pourquoi la vie est-elle parfois si statique, tellement atroce d’inertie, un sur-place pesant et douloureux, un chaos d’empêchements ? C’est le questionnement de ce texte à la lucidité implacable et naïve, aussi drôle qu’attachant.

 

    Spectateur perplexe et tendrement ironique de sa propre vie, Grégoire Bouillier formule cet empêchement de vivre que certains peuvent nommer dépression, mais qui n’est autre que l’existence, en elle-même et simplement.

Evoluant dans l’univers mouvant, à la fois singulier, dérangeant et si immédiatement intime de cet écrivain, le lecteur est happé par la dynamique des mots. Les phrases donnent le vertige et coupent le souffle, on lit comme saisi d’une urgence, entraîné par la construction diablement maîtrisée et fluide du texte. Haletant et ravi, souriant et ému, on accompagne l’auteur au plus près de sa pensée en train de se constituer.

Et une fois la dernière page tournée, c’est le livre lui-même qui accompagne, résonne en soi longtemps. Comme un galet jeté dans un lac et qui n’en finit pas de faire vibrer l’onde, en cercles concentriques, longtemps…

 

Christelle