2021 ne verra pas que le deuxième anniversaire de la Covid, il y a aussi le cent-cinquantième de la Commune. Michèle Audin publie à cette occasion deux ouvrages, dont ce roman, inspiré pour l’essentiel de personnages réels et méconnus, constitué à partir de faits historiques et de maigres rapports de police. Mais c’est surtout grâce à son écriture inventive que le lecteur se plongera dans cette histoire de clandestinité, d’amour et d’exil, sans jamais douter de sa probabilité.

Il s’en passe des choses, au 19 rue des Juifs. Si le commissaire Berlioz et ses sbires ne récolteront de leur perquisition, en pleine nuit du 27 Juillet 1871, qu’une observation en cascade d’objets inertes du quotidien, d’ouvriers anodins ou d’appartements bien proprets, ça n’est pas ce qu’ils escomptaient, encore moins ce qu’il s’y passe en clandestinité. Un immeuble et sa farandole d’entraide à chaque étage ou presque, voilà ce qu’ils ont raté, malgré la moucharde Dubois, qui a permis l’arrestation, dans cet immeuble, le 13 Juin, du dénommé Alary. Pour les autres communards il faudra repasser, ou faire épier les allées et venues du 19 par un argousin.
La faute – d’un point de vue policier, à Madeleine la concierge et son cancan intempestif à l’accueil du commissaire, pour attiser la méfiance et réveiller les planques. C’est depuis l’une d’entre elles que le principal concerné, Albert Theisz, rapatrié là chez le couple Meunier, entendra sa vie se dérober, apprendra à comprendre les bruits dans l’escalier, le balai de la concierge qui heurte les plinthes, les femmes qui parlent sur le palier ou d’un palier à l’autre,…. C’est aussi sûrement là, dans la clandestinité, qu’ont palpité ses premiers élans du cœur vers Josée, avant d’éclore sur le quai d’une gare, direction pour lui Londres et l’exil. Peu après, Josée annonce à son mari Jacques qu’elle rejoint Albert à Londres.
Changement de décor, changement de vies, de la clandestinité à l’exil pour Albert le futur contumax, d’une vie de repasseuse à celle d’expatriée pour Josée. Malgré les rencontres d’autres exilés à Londres, parfois célèbres comme Jules Vallès, Charles Longuet ou même Karl Marx, tout est à reconstruire : Ici dit Josée, nous n’avons rien, […] ni chandeliers ni traces de balles, nous sommes partis les mains vides, je n’ai même pas emporté les cahiers de ma fille, et elle ajoute, nous n’avons que des souvenirs. Ceux notamment du réseau communard et sa culture des barricades, entretenus par une correspondance avec Georgette pour l’essentiel, qui maintient un lien nostalgique avec le 19 rue des Juifs, animant l’espoir pour les réfugiés londoniens de retourner à Paris.
– L’année prochaine, dit Josée. C’est déjà, c’est à nouveau, c’est encore une fois l’année prochaine.
Michèle Audin révèle dans un dernier paragraphe la genèse de ce roman, à partir de pas grand-chose : une rue des Juifs qui a existé, une documentation à base de rapport de police pour la perquisition, des noms de personnages repris, dont un ouvrier ciseleur nommé Albert Theisz, élu à la Commune, réfugié à Londres où une femme l’y a rejoint. La nécessité d’en savoir plus m’a poussée à inventer le reste, avoue-t-elle. L’illusion de réel est néanmoins prégnante, le lecteur sera plongé au présent acéré d’un Paris communard et populaire, au gré d’une langue inventive, au service de la narration et ses circonstances, prête aux variations, au détriment peut-être de la fluidité.
Une auteure qui plus est spécialiste de la Commune, qui a l’élégance de laisser au lecteur la possibilité de ne pas l’être complètement.
Eric Médous