Dans son roman Un jour viendra, situé au début du siècle dernier, Giulia Caminito entremêle fiction familiale et histoire d’Italie, au gré d’une narration portée par un souffle romanesque épique.

Quand il braqua son fusil sur son frère Lupo, Nicola pensa qu’il avait une promesse à tenir. Difficile d’imaginer avec cette entrée en matière dans le prologue à quel point ces deux frères si différents, seront aussi si fusionnels.
L’un est aimanté par les ombres, Nicola à la complexion fragile, avec ses yeux clairs semblables à des esquisses de nuages et qui n’était même pas fait pour tenir debout, ses dents claquaient au soleil.
L’autre se destine aux grandes manœuvres révolutionnaires, avait choisi l’anarchie par hérédité mais aussi par conviction, porte le le nom de l’espoir et de la défaite du village de San Lupo, et adopte un jeune loup dès le début du récit.
Si le lecteur connaîtra vite le pacte qui lie officiellement les deux, le goutte-à-goutte des révélations narratives lui laissera vite supposer qu’il y a sûrement plus, des non-dits ou des secrets. Pas si étonnant que ça dans une famille aussi nocive, où le père Luigi n’est pas fait pour la boulangerie héritée de l’oncle, doué ni pour les bavardages quotidiens ni pour le bonjour matinal, en réalité plutôt connu pour ses sourcils en broussaille perpétuellement froncés, même si au sein de sa petite famille, il est aussi connu pour sa violence et l’absence irréversible d’amour envers les siens. Et ça n’est sûrement pas la mère qui démentira, elle désormais épuisée et recluse, atteinte de cécité et de pertes d’enfants, naturelles ou accidentelles comme des coups de fusil.
Mais la famille n’est pas le seul flux narratif de ce roman. Il y en a d’autres, l’un historique et transversal, parfaitement ancré, fournissant des faits réels : semaine Rouge, guerre de 14-18, naissance de l’anarchisme ou grippe espagnole, il paraît superflu de préciser que le contexte enfonce le clou d’un roman décidément bien implanté dans le drame. L’autre flux tourne autour d’un lieu du village de Serra de’ Conti, le couvent dirigé de main de fer par sœur Clara, superbe personnage inspiré de la Moretta, sœur Maria Giuseppina Benvenuti, mais qui fait aussi penser à Bakhita. Si la famille recèle ses secrets, nul doute que la bâtisse religieuse aura tôt ou tard son mot à dire, pas forcément mystique.
Le tour de force de l’autrice sera de parvenir à entremêler toutes ses petites histoires dans la grande en conservant en point de mire la ou les révélations attendues par le lecteur, dans un parcours parsemé de fausses pistes ou de chausses-trappes. Giulia Caminito se joue des situations, des personnages et des faits telle une marionnettiste, elle maîtrise les rênes de son récit débridé, dans un roman le plus souvent factuel, porté par le souffle d’une langue déterminée et élégante.
Une première pour la maison Gallmeister avec un auteur non américain, pour une belle réussite.
Nicola et Lupo n’étaient pas seulement des frères, ils n’étaient pas seulement du même sang, ils étaient plus que la guerre, ils étaient plus que l’anarchie, ils avaient été couvés par le monde pour exister ensemble, leurs vies devaient nécessairement être liées.
Eric Médous