Eve de Castro : « L’autre Molière »… et l’autre Corneille

Après L’autre Rimbaud, l’Iconoclaste s’intéresse à un autre grand personnage, Molière, dans un roman polyphonique d’Eve de Castro. Avec un point de vue romanesque sur la question d’un éventuel « trafic de plume » avec Corneille, vieille d’un siècle.

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© Céline Nieszawer – Leextra / L’Iconoclaste

Ce n’est peut-être pas en 2022 que le débat sur l’affaire Molière-Corneille va s’étouffer, on risque même d’en entendre parler à l’occasion du 400eme anniversaire de sa naissance. Voilà aussi cent ans qu’un doute a été levé sur la légitimité de Molière en tant qu’auteur. Est-ce vraiment lui qui a écrit cette œuvre abondante, encensée depuis des générations ? Ou ne serait-ce pas plutôt son contemporain Corneille ? Dans ce roman polyphonique, le débat n’est pas vraiment ouvert. Ici dans L’autre Molière, il y bien un pacte entre les deux, l’autrice n’en fera pas grand mystère. C’est sa teneur qui pourra retenir le lecteur. Plongée fictive (mais aussi documentée et argumentée) dans les coulisses du XVIIème à l’époque du grand Molière.

Eve de Castro : "L'autre Molière"Et s’il n’y a pas de doute dans ce roman, c’est bien sur la connaissance du milieu et de l’époque par Eve de Castro. On est immergé dans un monde où « on rouait, écartelait et démembrait les assassins d’enfants et ceux qui avaient bravé l’Église ou l’État », au sein du milieu artistique de l’époque et sa scène théâtrale : «Nous sommes ses serviteurs, les vestales de son temple. Sur ses autels tout sacrifice devient une joie, toute compromission, un honneur, tout larcin, un bienfait. Et nos mensonges, des vérités ».
Nous sommes plongés dans la construction de Jean-Baptiste Poquelin en tant qu’artiste, son nom de Molière qui «… ne signifie pas terre molle et grasse, je suis un caméléon, pas un tas de glaise » , ses amours dévoilant un secret (controversé lui aussi), ses difficultés à percer avant le succès, et sa relation à maître Pierre. Tout cela sera rendu compte dans une chorale de voix, celles des deux auteurs, celles de Madeleine et Armande Béjard, ou encore Michel Baron. Certaines même pouvant s’adresser au lecteur par bonds anachroniques depuis l’au-delà, et évoquer Rimbaud ou un autre Molière, plus contemporain : « Vous avez porté mon nom aux nues, à vos écoliers vous enseignez « la langue de Molière ». Quel auteur français pourrait en dire autant ? »

Ici la construction polyphonique ne s’agglomère pas vraiment comme un puzzle à intrigues qui se dévoilerait peu à peu grâce aux points de vue des uns et des autres, mais plutôt comme une succession de témoignages, une chorale sans passage de témoin ou presque, suivant de près ou de loin l’évolution de Molière et la teneur de son pacte avec Corneille. L’Accoucheuse (Madeleine Béjart) parle ainsi de la vie théâtrale, de l’Illustre théâtre à la salle du Palais-Royal, maître Pierre de sa vie d’artiste et ses relations avec Molière ou son amour d’Armande, tout comme ils peuvent relater des éléments constitutifs de leur biographie. Cela ravira sûrement le lecteur curieux de l’époque. On tient entre les mains un roman historique, riche et immersif, choral et détaillé, avec parfois un vocabulaire d’époque et des tournures raffinées, et un point de vue romanesque sur l’affaire de l’authenticité.

Reste que le retour en 2022 peut questionner. Et on se dit que le point de vue est audacieux, en ces temps où la fameuse question du « trafic de plume » éventuel tendrait à la confirmation de Molière en tant qu’auteur, suite à la dernière étude de 2019 sur le plan stylométrique, statistique et textuel. Mais une chose demeure sûre, les « autres » Molière et Corneille élaborés ici sur un canevas documentaire sont des personnages…. De roman.

Eric Médous

L’autre Molière
Roman français d’Eve de Castro
Editeur : L’iconoclaste
346 pages – 20,00 €
Parution : 06 Janvier 2022
ISBN : 978-2378802776