« Nos pères, nos frères, nos amis » de Mathieu Palain : la violence au masculin pluriel

Le reporter s’est plongé 4 ans durant dans le sujet de la violence conjugale, entre groupes de parole, maison de femmes, auditions judiciaires et avis de spécialistes. Le récit de son travail remarquable est édifiant, et finit par dessiner les contours de la violence.

© Celine NIESZAWER / Leextra

Son précédent livre, Ne t’arrête pas de courir, s’appuyait sur un personnage réel au gros pouvoir charismatique pour un récit aux allures biographiques. Ici on rencontrera une palanquée de personnages masculins de tous horizons sociaux culturels, tous auteurs de violences conjugales, et on aura moins le temps de rentrer dans leur vie. Pourtant, tous finiront par se ressembler plus ou moins, à de rares exceptions près, pour dresser le portrait robot d’hommes immatures mais aussi en manque de confiance, dont la mémoire restitue plus souvent les circonstances et les excuses que les actes, malgré le verdict imparable de la justice. Avec la tendance aussi à s’ériger en victimes, en s’arrangeant avec la réalité pour se retrouver face à la société sur un terrain voisin du déni. Les formules chocs, souvent machistes, pullulent et dérangent. Mathieu Palain les a recueillies sans discontinuer dans les groupes de parole, malheureusement semblables à des lieux de consternation pour le lecteur, des lieux où le travail de l’équipe parait abyssal, confronté tout d’abord à la confirmation des idées par l’approbation et la complicité entre pairs.

Le récit peut donner la sensation de s’enliser dans la répétition des scenarii de la violence, même si par là-même il donne aussi la mesure de son ampleur. Il décolle en sortant du schéma des histoires récoltées pour se tourner vers d’autres acteurs, psychologues, animatrices de séances, victimes de violence, ou en renvoyant l’auteur à ses propres questionnements, et en interrogeant aussi chacun d’entre nous face à la violence. Peu à peu, se dessinera ainsi la silhouette et les ressorts de la violence, dont il apparaît sans réelle surprise que la reproduction est le plus souvent le moteur essentiel, chez les auteurs comme les victimes, associée à une contamination ou une addiction, voire au lien tissé au sein d’un couple.

Le travail d’immersion de Mathieu Palain est remarquable, en partant à la récolte d’histoires, il dessine peu à peu les contours de la violence conjugale dans nos sociétés. Il interroge et apporte aussi des réponses empreintes d’un espoir, celui d’endiguer le fléau dans une société qui s’intéresse enfin, par le biais de la justice, aux violences conjugales.

« Je n’ai en fait jamais réussi à me taire. J’ai tout organisé dans ma vie pour parler, combattre un silence qui a tout emporté. Et je me retrouve dans cette violence, c’est familier. Je sais comment ça fonctionne. C’est terrible mais c’est aussi chaleureux, je sais comment m’y déplacer. Je vois en face de moi quelque chose qui s’abat, sans distinction, je vois cette folie aveugle. »

(extrait d’une lettre de Cécile)

Eric Médous

Titre : Nos pères, nos frères, nos amis
Récit de Mathieu Palain
Editeur : Les Arènes
252 pages – 20,00 €
Parution : 12 janvier 2023