Le biographe de Jean Cocteau signe un nouvel ouvrage sur son touche-à-tout préféré et virtuose du 20e siècle, en l’opposant cette fois à Picasso. Un texte très documenté de Claude Arnaud qui nous fait traverser leur relation tumultueuse en 200 pages condensées et incisives.

Claude Arnaud s’était penché dix ans auparavant sur les destinées en amitié croisée de Proust et Cocteau aux trajectoires opposées, l’un extrait de l’ombre et irrésistiblement aimanté vers la postérité littéraire, l’autre en « étoile montante des lettres » passé un peu à côté de ses fulgurantes promesses, peut-être de manière injuste.
Ici il réitère dans la relation starifiée aux côtés de l’artiste protéiforme et touche-à-tout, à la fois peintre, dessinateur, dramaturge, poète ou romancier, mais cette fois avec le peintre le plus iconique du 20e siècle. Pas de suspense côté issue, il suffit de prononcer le titre pour savoir qui en sortira vainqueur, de ce duel entre grands de l’art du 20e siècle. Mais ici le duo s’inscrit davantage dans la nature profonde des deux et dans la relation qui en découle, l’un maso l’autre taureau, et ça n’est plus l’un contre l’autre comme avec Proust, mais l’un tout contre l’autre, le peintre ne lésinant pas envers ses proches d’un même « traitement décapant ». Il faut dire qu’il a commencé par tuer le père Pablo, un « repoussoir idéal » avant de continuer à engloutir ses modèles peintres après imitation, quand Jean Cocteau et sa « porosité à autrui » se sentira responsable du suicide paternel, et partira sur le terrain de l’imitation en s’inspirant lui-aussi des autres, mais à sa manière caméléon et invertie, en se fondant dans leur univers.
Leur première rencontre date de 1915, dans l’atelier de Montmartre du peintre où « rien n’évoque la rigueur cubiste dans ce bric-à-brac de mégots et de déchets, de palettes maculées et de tubes de gouache, de papiers découpés et de tickets de métro poinçonnés ». Elle se concrétisera par la Parade romaine et une création commune sur un ballet avec Erik Satie à la musique. Cocteau obtient ainsi « son titre de poète-lauréat à la cour d’El Rey », sans avoir conscience encore qu’il ne sera pas le dernier – Breton ou Eluard lui succèderont, avant de retrouver son trône après 27 ans d’éclipse. « Mon parti c’est mon oeuvre », voilà le crédo du peintre et pour assurer sa notoriété il ne lésine pas sur les talents littéraires, et surtout son renouvellement. De son côté, Cocteau le virtuose est aussi « doué pour souffrir », et alimentera son besoin en relation duelle avec Radiguet, ou Jean Marais.
Un demi-siècle de « je t’aime moi non plus » d’une relation amicale et surtout tumultueuse, pour semble-t-il le plus grand plaisir des deux, où l’un bouffe l’autre, l’un « surmâle se nourrit du désir des hommes », quand l’autre, homo assumé, y assouvit son masochisme. Mais le récit ne manquera pas aussi de nous plonger dans l’ambiance artistique d’époques, à la rencontre d’autres monstres sacrés (Gertrude Stein, Erik Satie, Daguiliev, Max Jacob, Radiguet, Braque, Dora Maar…), un monde où les rivalités s’empoisonnent souvent de cruauté.
Voilà un récit qui ravira les passionnés de l’époque, intéressera ou surprendra les simples curieux de passage. Le biographe de Cocteau y documente avec concision et rythme la traversée condensée de ce demi-siècle artistique par le biais de la relation tourmentée des deux grands, sur le flux d’une narration chronologique, au gré d’une écriture intense, souvent frappée de formules éloquentes.
Eric Médous
Picasso tout contre Cocteau
Récit de Claude Arnaud
Editeur : Grasset
240 pages – 20,90 €
Parution : 8 mars 2023