Le journaliste salvadorien dissèque les ressorts de la violence entre policiers et pandilleros, sa radicalité et sa propagation. Mais il interroge surtout le journalisme dans ce contexte. Un essai coup de poing, au déroulé syncopé diffusant un sentiment d’urgence.

Le Salvador, petit pays à l’échelle de la planète, grand pays de la violence. La radicale, la brutale, celle des pandilleros contre les policiers quand ce n’est pas celle des pandillas entre elles, tous issus de quartiers défavorisés. Les uns se servent de l’uniforme et tuent pour se protéger, les autres se vengent et tuent. Ou vice-versa. L’escalade va crescendo – ce n’est plus œil pour œil ni dent pour dent, mais l’expression « de compositions humaines où tuer est un verbe peu explicite qui a besoin d’être précisé : démembrer, incinérer, décapiter, étrangler, découper à la machette…. Pour un œil deux yeux, pour deux yeux une tête, pour une tête… ». Le Salvador, un petit pays en terme de superficie, mais son taux d’homicide pour 100000 habitants le « range dans une catégorie aux yeux du monde : le pays le plus meurtrier.»
Ils n’ont pourtant pas grand-chose à protéger les pandilleros, même pas impliqués dans le cartel de la drogue. Ils ignorent parfois leur date de naissance et se font enrôler à pas d’âge dans ces « organisations criminelles qui ont tendance à ressembler à des multinationales ». Oscar Martinez va suivre essentiellement l’un d’eux, Rudi, rescapé et témoin d’un « affrontement » qui a déjà fait trois morts. Mais quand on parle d’affrontement dans les médias salvadoriens, le travail d’Oscar Martinez s’attelle à déconstruire cette fausse réalité issue le plus souvent de mises en scène post-mortem, dissimulant des exécutions orchestrées sous uniforme. Rudi a échappé de peu à l’une d’elles – une envie de pisser lui a sauvé la vie, quand sa pandilla en fuite sa été exécutée dans l’église de Santa Teresa de Avila. Rudi en a été témoin, il est désormais fugitif. Il se cache le jour dans une auge à cochons, et rencontre Oscar Martinez au petit matin chez sa mère, incognito.
Pas de surprise pour le lecteur, on saura le sort de Rudi dès les premières pages. Se posent dès lors pour le journaliste les premières questions, relatives à ses sources. L’enquête sur la tuerie de Santa Teresa se renforce ainsi d’autres histoires affluentes comme autant de « souvenirs », pour disserter sur le journalisme : le courage, le remords ou la culpabilité, le risque de la vérité, les relations aux sources, leur anonymat préservé ou pas, l’honnêteté envers elles… Cela donne un récit saccadé, entrecoupé, désordonné nous prévient l’auteur : « Le désordre est une méthode […]Je suis une intuition, pas un schéma ». La fluidité n’en est pas favorisée mais le contre-point en est aussi un sentiment d’urgence, pas inapproprié non plus. En tout les cas, il y aura toujours une forme de continuité dans le récit pour le lecteur malgré la diversité de ses histoires, par la plongée en apnée dans un tréfonds irrémédiablement brutal, aux mille et une petites horreurs souvent renouvelées.
Oscar Martinez est journaliste, spécialiste de la violence dans la cellule Sala Negra au sein du journal El Faro. Il publie cet essai rude sur une réalité consternante qui semble bien éloignée de nos civilisations, à condition d’en occulter les gangs urbains. Un essai choc, à la portée réflexive sur le journalisme et la violence, à lire le cœur bien accroché.
« Si vous décidez de ne pas me lire, je vais vous éviter de tourner les pages. La dernière ligne de ce livre sera la suivante : Il y a des morts. Point. »
Eric Médous