François-Henri Désérable quitte le genre romanesque pour un récit de voyage, et non des moindres. Il s’est rendu en Iran fin 2022, en pleine répression de l’insurrection populaire suite au décès de Mahsa Amini. Un épatant récit à la fois dramatique, instructif, touchant… Et drôle.

François-Henri Désérable est habitué à poursuivre des personnages dans ses livres, une fois Évariste Galois, une autre fois Mr Piekielny, anodine figure de Romain Gary désormais sortie de l’ombre lituanienne. Mais là où ces derniers l’engageaient surtout dans une voie d’archives et de documentation, celui sur lequel il souhaite ici mettre ses mots va l’inciter à risquer de sa personne, en y mettant aussi ses pas. Comment en effet rendre hommage à Nicolas Bouvier sans partir sur ses traces en devenant soi-même écrivain-voyageur… Voilà donc notre auteur embarqué pour Téhéran, juste au moment où un inconnu de la cellule de crise des Affaires étrangères l’appelle : « Il est formellement déconseillé, vous m’entendez, formellement déconseillé de se rendre en Iran.[…] Ceux (les Français) qui y sont encore sont en train de rentrer, et ceux qui ne rentrent pas, c’est qu’ils sont en prison ». On est fin 2022, Mahsa Amini est devenue l’étendard de la révolte iranienne dans un pays où l’on tabasse, viole, lapide, massacre, exécute pour des histoires de cheveux.
Il y a un sondage débusqué par des hackers sur un site des Gardiens de la Révolution, que les mollahs au pouvoir se gardent bien de divulguer : « 87% des Iraniens sont favorables aux revendications des manifestants ». Autrement dit, le peuple n’en peut plus et il y a de quoi, aux évènements connus de l’automne dernier s’ajouteront au fil de ce récit une litanie de petites barbaries en plus de massacres moins médiatisés comme le Friday Bloody, donnant de l’Iran l’image d’un pays en pleine déliquescence. Le contexte sera bien sûr omniprésent, l’auteur saura le doser tout comme il nous préviendra de « l’effet de loupe » engendré par la médiatisation de certains évènements quand on les voit de l’extérieur, par le biais de lucarnes à pixels.
Car tout ne sera pas englué dans les soulèvements et les répressions, tout ne sera pas non plus complètement noir à la lecture de ce livre. On risque même d’y être surpris par des éclats de rire empreints d’une légèreté bienvenue. En prenant le parti d’un tel périple, François-Henri Désérable se met dans une situation pour le moins inconfortable et il saura en jouer sans en abuser. De plus, en suivant les traces de Nicolas Bouvier il ira à la rencontre d’un peuple constater son hospitalité, à l’instar de son mentor dont il loue « la faculté inouïe de brosser en trois lignes des portraits qui nous touchent ». Nul doute que Nicolas Bouvier lui aurait retourné le compliment à la lecture de son récit, égrené de rencontres improbables, parfois incongrues ou pittoresques, drôles, tendres, poétiques et touchantes elles aussi. Depuis l’auberge à l’arrivée à Téhéran – « un royaume aux sujets éphémères » – jusqu’au trou de Zahedan au Baloutchistan (là où il ne faut pas aller selon les Iraniens) ou à Saqqez au Kurdistan, Désérable croise sur sa route une poignée d’européen(ne)s, des Afghans en transit, quantité d’Iranien(ne)s dont un seul à « trouver des vertus à la mollahrchie absolue », mais aussi un garagiste-ostéopathe, un médecin opiomane, Niloofar adepte à sa façon de l’écho nocturne à Téhéran, Ali l’illettré avec ses cahiers remplis de mots par les touristes de passage. Sans oublier Firouzeh et ses poèmes appris par cœur tels « la part irréductible de son être », Firouzeh rencontrée dans l’ascension du mont Soffeh pour y réaliser une vidéo :
» – De moi, dit-elle. De moi au sommet du mont Soffeh, dédiant l’ascension à tous ceux qui manifestent contre ce régime corrompu. De moi criant Mort au dictateur ! Et Merde aux mollahs ! Et Femme, Vie, Liberté ! «
Ce récit de voyage pourrait ainsi se résumer en une chaîne humaine de révolte et de solidarité, une galerie foisonnante de personnages touchants qu’il sera difficile de quitter sans avoir de nouvelles dans un tel contexte, comme il sera difficile de descendre de cette lecture embarquée dans la prose sensible, instructive et teintée d’humour de son auteur.
Eric Médous
Tres bon article