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                               Will
                              Eisner - Fagin
                              le juif   
                                
                              Delcourt
                              - 122 p, 11.95€ - 2004 
                                
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                           Comme
                        si le poids des ans n'avait aucune prise sur lui, Will
                        Eisner nous revient une fois de plus, à 80 ans passé,
                        avec un nouvel album épatant. Celui qui créait le
                        personnage du Spirit à l'aube des années 40, celui qui
                        révolutionnait le monde du comic book en inventant le
                        concept de roman graphique (*), celui qui n'a eu de
                        cesse de dépeindre, avec une truculence qui
                        n'appartient qu'à lui seul, la vie des petites gens des
                        quartiers populaires de New York, Will Eisner donc, légende
                        vivante de la bande dessinée mondiale, nous précipite
                        avec cet album dans une relecture passionnante de l'Oliver
                        Twist de Charles
                        Dickens, vue à travers les yeux d'un de ses
                        personnages secondaires, Fagin le Juif.
                        
                         
                         
                        
                         
                           
                        A l'époque de Dickens, Londres venait d'absorber un
                        important flux de migrants juifs en provenance
                        d'Allemagne et d'Europe centrale. Ces nouveaux
                        arrivants, souvent peu instruits, peinaient à s'intégrer
                        dans le tissu social en place. Ils étaient dès lors
                        contraints, dans leur grande majorité, d'investir les
                        marges d'une société qui ne leur laissait d'autres
                        opportunités que la débrouille ou le crime. Fagin était
                        l'un d'eux.
                        
                         
                         
                        
                         
                           
                        Mais, là où Dickens réduisait le personnage à la
                        figure vénale de l'exploiteur de la misère de ses
                        semblables, Eisner s'attache à enfin lui donner une réelle
                        individualité. Bousculant les clichés qu'Oliver
                        Twist a contribué à pérenniser, Fagin devient
                        chez Eisner un personnage complexe et ambigu, un
                        personnage doté d'une histoire et d'un vécu qui lui
                        appartiennent en propre. Fagin n'est plus LE Juif, représentant
                        l'entièreté de son peuple sous la forme de quelques
                        caractéristiques réductrices. Non, il est Fagin, juste
                        Fagin et c'est déjà bien assez lourd à porter comme
                        cela. Parce qu'Eisner lui invente un destin tumultueux
                        à ce pauvre Fagin. Tantôt chassé d'une bonne famille
                        pour avoir succombé aux avances pressantes d'une jeune
                        fille enamourée, tantôt arnaqueur dans la rue pour
                        survivre, tantôt condamné aux travaux forcés dans les
                        Antilles, toujours victime d'épreuves douloureuses qui
                        le rejettent parmi la lie, rien ne lui est épargné. Et
                        pourtant il reste toujours chez lui une irréductible
                        humanité qui le rend profondément attachant.
                        
                         
                         
                        
                         
                           
                        Cette humanité, Eisner nous la communique avec une
                        verve graphique et scénaristique hors du commun. Ainsi,
                        les péripéties s'enchaînent dans une sarabande effrénée,
                        sans jamais nuire à la caractérisation des
                        personnages. Ainsi, le découpage, d'une fluidité sans
                        failles et d'une justesse exemplaire, ravit tout en
                        restant toujours au service du récit. Ainsi, la vivacité
                        du trait compose avec finesse un Londres grouillant de
                        vie et vibrant d'émotions.
                        
                         
                         
                        
                         
                           
                        Tant sur le fond que sur la forme, Fagin
                        le Juif est l'expression d'un Will Eisner au mieux
                        de sa forme, explorant de manière personnelle une veine
                        dans laquelle on ne l'attendait pas. Ce jeune auteur
                        toujours vert n'a pas encore fini de nous étonner et de
                        nous éblouir. Pour notre plus grand plaisir…
                        
                         
                        
                        Frédéric
                        Bruart 
                        
                         
                         
                        
                         
                        (*)
                        en 1978 avec le magnifique album A
                        contract with God, récemment réédité chez
                        Delcourt sous le titre Un pacte avec Dieu.
                        
                         
                          
                          
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