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                         Deprez
                        - Frankenstein   
                          
                        Casterman
                        - 2003 
                          
                          
                          
                          
                           
                        Décidément, le mythe crée par Mary Shelley il y a près de 150 ans continue encore et toujours à
                        alimenter l'imaginaire contemporain et à refléter en
                        lui une humanité en proie au doute et au questionnement
                        moral. 
                        Tout
                        comme le fameux Dr
                        Jekyll et Mr Hyde magistralement adapté l'an
                        dernier par Mattotti
                        et Kramsky (voir autre chronique de ce mois), Frankenstein ausculte la part sombre de la psyché humaine via le thème
                        de la monstruosité et de la déchéance. 
                          
                           
                        Denis Deprez
                        cerne ce noyau noir en débarrassant son Frankenstein
                        de tout le bric-à-brac scientifique et technologique
                        mis en place par Shelley,
                        pour se centrer exclusivement sur l'humain et son reflet
                        monstrueux, ni vivant, ni mort, hors limites.
                        L'adaptation de la scène célèbre de la création de
                        la créature est à cet égard très parlante. 
                          
                           
                        Dans la première partie du récit, Deprez adopte le point de vue du Baron Frankenstein dans un style
                        graphique qui n'est pas sans évoquer celui du grand maître
                        Breccia, également féru d'adaptations de classiques de la littérature
                        populaire de genre (voir chronique de ce mois de l'album
                        Cauchemars).
                        Tout comme Breccia,
                        Deprez trouve une force expressive hallucinante avec une sobriété
                        exemplaire remarquablement mise en valeur par un travail
                        des couleurs très inventif. Pas un gramme de gras,
                        directement à l'os, aux antipodes d'une vision outrée
                        à l'hollywoodienne. 
                        Face
                        aux conséquences de sa création, le Baron perd petit
                        à petit pied jusqu'à basculer dans une profonde dépression
                        suite à l'annonce du meurtre de son jeune frère. 
                        Une
                        scène onirique entre Frankenstein et sa créature
                        permet à l'auteur d'effectuer une transition de point
                        de vue (la créature devient narratrice) accompagnée
                        d'une transition graphique. 
                          
                           
                        A mesure que l'horreur se glisse dans les tréfonds de
                        l'âme, les corps se tordent, les visages deviennent
                        indistincts, les décors abandonnent définitivement
                        tout souci de réalisme pour nous plonger directement
                        dans l'intériorité des personnages. Picturalement, on
                        ne pense plus à Breccia
                        mais plutôt notamment à Francis
                        Bacon, dans cette expressivité morbide des corps et
                        des visages qui reflète les tourments intérieurs des
                        protagonistes du récit. Extrait : "Les organes se
                        disloquaient… Il pleurait de rage, enfant dégénéré.
                        Tout fût détruit. Une bouillie rosâtre. Infâme." 
                        Dans
                        la troisième partie du récit, Frankenstein redevient
                        narrateur. Mais le ver est à l'intérieur du fruit et
                        celui-ci déjà pourri. Plus de modification graphique,
                        la monstruosité a définitivement contaminé humain et
                        créature, reflets l'un de l'autre dans une même
                        abjection. 
                          
                           
                        Sous la plume et le pinceau de Denis Deprez, Frankenstein,
                        classique impérissable et toujours résolument moderne
                        retrouve un pouvoir de fascination intact. Ce n'est pas
                        la moindre des qualités de cette magnifique bande
                        dessinée qui poursuit avec bonheur le redressement éditorial
                        de Casterman entamé début 2002 par … Dr
                        Jekyll et Mr Hyde. Il n'est pas de hasard, juste des
                        coincidences. 
                        Fred 
                          
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