BD

Shigeru Mizuki - NonNonBâ

Cornélius - 420 p, 29€ 

[4.5]

 

 

Pour ceux qui pensent encore que le manga est un genre de sous-bande dessinée, violente et  réservée à des pré-ados peu imaginatifs, NonNonBâ est une excellente surprise qui devrait les faire taire. Il s’agit à la fois d’une histoire d’apprentissage, de passage de la vie d’enfant à celle de jeune adulte responsable (thème récurrent dans les arts nippons écrits comme visuels). Mais c’est aussi une formidable découverte des croyances et des légendes du Japon traditionnel des années 30.

 

L’ouvrage débute par la rencontre du jeune Gege, surnom de Shigeru (tiens, tiens, comme l’auteur…), passionné de dessin et de guerre « des boutons » qu’il mène avec les enfants de son petit village rural, loin de l’agitation des grandes villes de l’île. Celui-ci va se lier d’amitié avec NonNonBâ, petite vieille veuve qui loue ses services – ménage, garde d’enfant – de famille en famille, en échange d’un toit…Tout en s’occupant de Shigeru, la  « grand-mère » (comme il l’appelle) va également lui faire découvrir le monde des yokaï, ces esprits bienfaisants ou malfaisants qui suivent et protègent les hommes dans des circonstances spéciales, et qui peuvent intervenir dans leurs décisions, leurs choix… Shigeru va peu à peu se dévoiler, comprendre qui il est, devenir maître de sa vie…et accepter également que l’existence n’a rien d’un chemin paisible et peut à tout moment sombrer dans le tragique.

 

Par petites touches tour à tour réalistes ou oniriques, en mêlant de nombreuses histoires de famille ou d’amis, en croisant légendes, destins, merveilleux, surréalisme et vie quotidienne dans le Japon rustre de 1930, Mizuki signe une œuvre dense, splendide et riche. Elle aborde surtout des thèmes méconnus dans notre monde occidental : la part importante des croyances populaires dans les vies des Japonais en milieu rural. Tout le récit s’articule autour de légendes, de personnages qui incarnent les peurs ou les inspirations de ceux qui savent cohabiter avec eux : c’est presque un monde parallèle qui nous est offert dans le livre, un monde avec lequel et par lequel on décide de sa vie.

 

A la fois récit intimiste de l’auteur (c’en est quasiment autobiographique) et paisible diaporama du Japon d’avant-guerre, NonNonBâ dévoile doucement ses charmes, au fur et à mesure des rencontres de la vieille dame et de Gege, les histoires s’écoulent paisiblement tout le long d’un scénario qui reste jusqu’au bout en équilibre entre la comédie douce-amère et la tragédie à peine appuyée. Finalement, malgré sa thématique spécifiquement basée sur la culture et les coutumes du pays du Soleil Levant, le grand Prix d’Angoulême 2007 fait preuve d’une magnifique universalité, jusque dans sa morale finale. Respecter la nature, les autres, accepter son destin, les aléas de la vie, et s’ouvrir aux autres, et enfin, accepter l’idée d’un autre monde qui nous aiderait à bâtir notre propre identité. De belles idées pour un bel album.

 

Jean-François Lahorgue