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                        Julien Gratz est annonceur. Un jour, usé et désabusé,
                        il décide de se retirer du métier, 
                        et lance une petite annonce à la recherche de
                        son successeur. Jan devient son apprenti. Il lui faut
                        apprendre le métier étrange qui consiste à annoncer
                        la mort aux proches et aux parents d’un défunt.
                        Oiseau de mauvais augure, les annonceurs n’ont pas
                        bonne réputation auprès du public, pour qui ils
                        incarnent la mort elle-même, qui vient frapper à la
                        porte. Raison de plus pour exercer ce métier de la
                        meilleure façon qui soit. Le récit est le parcours
                        initiatique de Jan au travers de ce métier étrange
                        fait de sobriété et de froideur corporelle. Un métier
                        fait de respect et de timbre de voix, de choix de mots
                        et de réserve… L’élève parviendra-t-il à égaler
                        le maître ? Arrivera-t-il à le surpasser même ?
                        C’est ce que le lecteur apprend alors que Jan et
                        Julien Gratz sont confrontés à une situation hors du
                        commun qui les oblige à aller puiser au plus profond
                        des racines de leur métier. 
                         
                        
                         
                           
                        En filigrane de ce récit, William Henne aborde
                        des notions essentielles, mais dérangeantes, de notre
                        rapport à la mort et au décès d’un être proche :
                        sous l’angle de l’histoire, d’une certaine
                        sociologie des rites funéraires, des rapports amoureux
                        brisés par le décès, de la différenciation de
                        l’homme et de l’animal dans la conception de la
                        mort. L’annonceur est le point focal de ces différents
                        angles de vue. L’annonceur est celui qui parle et 
                        qui met des mots sur la venue de la mort. Il est
                        le creuset des différents angles de vue qu’aborde
                        l’auteur autour du thème sous-jacent et inéluctable.
                        
                         
                         
                        
                         
                           
                        Adaptées au propos dont elles traitent, les techniques
                        de cette bande dessinée font la part belle à la mélancolie
                        et l’obscurité qui seyent 
                        aux ambiances dans lesquelles oeuvrent annonceur
                        et apprenti. Gouache blanche en traits larmoyants,
                        aplats noirs ou gris en sont les pigments principaux.
                        Les personnages sont autant d’ombres impersonnelles,
                        dont émergent les traits de caractères. Ici les hommes
                        ne sont qu’expression. Les froncements de sourcils et
                        les mines dépitées y sont légion. Les décors
                        urbains, faits de gratte-ciels et de rues désertes
                        contribuent à l’ambiance morbide dans laquelle évoluent
                        les protagonistes. Les phylactères y sont réduits à
                        leur plus simple expression, mettant en exergue le dénuement
                        de paroles et leurs absences, en de nombreuses cases
                        muettes qui tendent l’atmosphère. 
                        
                        
                         
                        A
                        noter, les trouvailles graphiques dont Henne use et
                        abuse pour mettre l’accent sur le discours des
                        annonceurs auprès des familles qu’ils visitent.
                        Photos floues, rebus, etc. créent un nouveau langage
                        permettant au dessinateur d’aborder la multitudes de
                        manières possibles pour annoncer la fin d’une vie…
                        
                         
                        Une
                        belle réussite d’adéquation entre forme et fond.
                        
                         
                         
                        
                         
                           
                        Pourtant, et c’est le seul bémol que le lecteur que
                        je suis a envie de mettre à ce récit, on a parfois
                        l’impression que l’auteur ne creuse pas assez loin
                        les réflexions autour de « La Mort ». Si le
                        récit est surprenant et le dénouement efficace, on hésite
                        parfois à savoir si les trouvailles de l’auteur ne
                        sont pas plus esthétiques que véritablement
                        symboliques.  On
                        a beaucoup de mal à s’imprégner des personnages
                        principaux pour ressentir la tension qu’implique leur
                        métier, leur vie et leur sentiments, de même qu’on a
                        beaucoup de difficultés à ressentir la douleur des
                        familles visitées par Jan et Julien. Dommage. C’est
                        finalement l’esthétisme qu’on admirait quelques
                        lignes plus haut qui rend parfois l’histoire trop
                        lisse, trop clinique.
                        
                         
                        Avec
                        un peu plus d’intensité on aurait tenu un petit joyau
                        de littérature spleenique entre les doigts… On se
                        retrouve finalement avec « seulement » une
                        très bonne bande dessinée. 
                        
                         
                         
                        
                         
                        Denis
                        
                         
                         
                        
                         
                        
                        
                         
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