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                               Mark
                              Kalesniko
                              - Alex
                               /
                              Mariée
                              par correspondance  
                                
                              Paquet/coll.
                              Ink - 264p, 17€ - 2004  
                                
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                        Près de six ans après Pourquoi
                        Pete Duel s’est-il suicidé  les éditions
                        Paquet nous proposent deux nouvelles traductions de Mark
                        Kalesniko, Alex
                        et Mariée par
                        correspondance.
                        
                         
                          
                           
                        Pete Duel
                        débute par l’article d’un journal qui relate le
                        suicide de l’acteur de séries télévisées à succès
                        du même nom. Sans l’expliquer le journaliste insiste
                        sur quelques fragments de sa vie afin d’aider à
                        comprendre son geste. 
                        Le
                        corps du livre est ensuite ce qu’on pourrait appeler
                        une autofiction sur Alex, jeune garçon dessiné avec
                        une tête de chien à la Disney. Alex et
                        Mark Kalesniko (Alex Kalienka, Mark Kalesniko) 
                        semblent ne faire qu’un, au moins
                        partiellement, surtout quand on sait que l’auteur a
                        longuement travaillé chez Disney. La vie du jeune Alex
                        est marquée par une grande difficulté à s’insérer
                        socialement, confronté à la cruauté et à la dureté
                        des autres enfants comme celle du monde adulte. 
                         Les
                        personnages de Kalesniko sont constamment en rupture 
                        d’équilibre et se cassent la figure. Ainsi
                        Alex ne sait pas fermer sa veste seul, il se transperce
                        la joue  avec
                        son pinceau en voulant jouer avec ses camarades, il
                        lance une pierre sur une voiture visant une toile
                        d’araignée, chaque petit chapitre est une saynète 
                        sur les malheurs du jeune Alex qui ne sait pas
                        faire de jolis flocons en papier et qui n’arrive pas
                        du tout à faire du vélo. Il tombe. 
                        Inévitablement
                        il devient le souffre douleur de ses camarades, les
                        adultes sont exaspérés par son comportement et
                        finissent par le prendre pour un idiot, le psychologue
                        demandant aux parents d’Alex de le placer en
                        institution spécialisée. 
                        Les
                        années passent et d’autres que lui se font
                        maltraiter, Alex finissant par se fondre un peu dans la
                        cruauté ambiante. 
                        Cruel
                        mais lucide, il en restera cette idée récurrente chez
                        Kalesniko d’un monde égoïste et replié sur lui-même,
                        un monde où toute tentative de générosité est
                        contrariée par la vie, un monde dur, à l’image de la
                        petite cité canadienne de Bandini où vit Alex, un
                        monde de désespoir et de souffrance dont l’issue
                        peut-être le suicide. 
                        Le
                        livre s’achève sur le poème tragique d’Edwin
                        Arlington Robinson Richard Cory. 
                        On
                        comprend mieux ainsi le geste de Pete Duel. 
                          
                           
                        Le travail graphique de Kalesniko est extrêmement
                        personnel, il se reconnaît au premier coup d’œil, et
                        rejoint d’autres grands auteurs dans le traitement nécessairement
                        distancié de l’autoreprésentation. Avec sa tête de
                        petit chien au milieu de visages humains, cet
                        anthropomorphisme renforce la centralité du personnage,
                        et sa solitude essentielle. Le trait fin et dépouillé,
                        le découpage très vif et parfaitement maîtrisé
                        renforce la lisibilité et le caractère dynamique de
                        cette bande dessinée. On se sent 
                        parfois proche d’un Baru avec son sens du mouvement, cette expressivité et phénomène
                        assez rare en bandes dessinées une grande profondeur de
                        champs ( plusieurs plans dans une même case). 
                          
                           
                        Alex ,
                        album très longuement attendu en français puisque paru
                        chez Fantagraphic il y a dix ans, soit trois ans avant Pete
                        Duel reprend le même personnage mais à l’âge
                        adulte. Le dessin est déjà maîtrisé, allant à
                        l’essentiel, sans esbroufe, et le découpage vraiment
                        époustouflant. Les thèmes de l’auteur sont déjà
                        bien en place ; pessimisme, désespoir,
                        incommunicabilité et émotion à fleur de peau. 
                          
                           
                        Alex Kalienka est revenu dans sa petite ville canadienne
                        après 15 années passées dans un studio d’animation
                        ( Mickey Walt ) . Son professeur préféré, qui a donné
                        le goût de l’art au jeune Alex s’est laissé
                        sombrer avant de mourir, ses camarades de classe se sont
                        rangés bien sagement et ont réalisé leur petit rêve
                        matérialiste,  et
                        Alex se sent toujours aussi peu concerné par les règles
                        sociales et impuissant face à ce monde qui lui échappe.
                        Ses difficultés de socialisation n’ont guère évolué,
                        bien au contraire, et son enfance difficile se rappelle
                        à son mauvais souvenir. 
                        Alex
                        n’arrive plus à dessiner, ne croit plus à
                        grand-chose et a sombré dans l’alcool avec son ami Jérôme.
                        Même ce dernier  finira
                        par  abdiquer
                        et par se ranger auprès de sa mère bigote. 
                        Comme
                        dans Pete Duel,
                        Alex est en déséquilibre permanent, déséquilibre émotionnel
                        cette fois, déséquilibre artistique entre ses rêves
                        d’artiste et sa production disneyenne, déséquilibre
                        avec son passé et les choses qu’il n’arrive
                        toujours pas à maîtriser. Seule sa voisine qui passe
                        son temps à récupérer ce qu’Alex jette par la fenêtre
                        lui redonnera un certain goût à la vie. Sans être
                        dupe. 
                          
                        A   
                        près ces deux œuvres très autobiographiques, Mariée
                        par correspondance semble être une œuvre davantage
                        centrée sur la fiction, quoique…. 
                        Le
                        parallèle avec l’auteur lui-même, qui pratique une
                        activité réputée infantilisante et dont l’épouse
                        est asiatique n’est jamais loin, et cet album en forme
                        de fausse fiction sans concession est certainement la
                        plus dure de ses trois œuvres connues à ce jour par
                        les lecteurs francophones 
                        Le
                        canadien Monty Wheeler s’est marié par correspondance
                        à Kyung Seo à l’âge de 39 ans. Monty est un garçon
                        sans charme et profondément immature qui s’est réfugié
                        dans le monde de l’enfance et de la collection de
                        comics et de  jouets
                        jusqu’à en faire sa profession. Incapable de fréquenter
                        des gens de son âge, sa socialisation passe par des
                        personnes âgées, lui-même étant resté l’enfant. 
                        Bien
                        évidemment, Kyung qui aspire à une vie bien réelle,
                        ne peut correspondre à son fantasme et à l’image stéréotypée
                        qu’a Monty de la femme asiatique, laborieuse, loyale,
                        obéissante, mignonne, exotique, ménagère, simple,
                        c'est-à-dire boniche, putain et silencieuse. Et bien sûr
                        que non, Kyung n’est pas la plus jolie poupée du
                        magasin de Monty, c’est un être humain qui aspire à
                        vivre, pas à être collectionné. Elle en aura
                        l’occasion et voudra la saisir. Malheureusement, Kyung
                        dont nous ne connaîtrons jamais le passé coréen
                        finira par accepter cette vie faite de renoncement. 
                        Ce
                        qui est étonnant avec Monty c’est la facilité avec
                        laquelle il assume sa médiocrité, sans culpabilité ni
                        remords, médiocrité et lâcheté qu’il finira par
                        partager avec Kyung. Plutôt que de vivre libre mais
                        seul, acceptons cette petite mort à deux semble-t-on
                        entendre. Monty incapable d’aimer autre chose que
                        lui-même aura ainsi gagné par abandon, en bon nord américain
                        dominant incapable d’altruisme. 
                          
                           
                        Malgré la noirceur du propos nous souhaitons être
                        l’ami d’Alex l’incompris dans Pete
                        Duel et  nous
                        espérons dans la voisine 
                        d’Alex de retour à Bandini. Ici outre Monty
                        qui est détestable, la révolte n’est plus possible
                        et l’espoir étouffé par la lâcheté finale de Kyung,
                        en laquelle nous avons cru tout au long du livre. 
                          
                           
                        Par sa maîtrise narrative, Kalesniko contraint le
                        lecteur, malgré lui, à s’identifier à Monty,
                        qu’il rejette pourtant de toutes ses forces. Cette œuvre
                        dure et crue représente sans doute à ce jour la
                        quintessence de l’art de l’auteur qui ne nous laisse
                        aucune porte de sortie. 
                          
                           
                        Par la profondeur des thèmes abordés tout comme par sa
                        narration exemplaire et impressionnante, nous tenons
                        bien là un artiste d’exception. Sans révolution mais 
                        sans tics issus du dessin animé dont il est
                        pourtant issu, Kalesniko s’impose comme un auteur
                        majeur de bandes dessinées à la maîtrise impeccable
                        et implacable. 
                          
                        Philippe
                        Madar           
                                          
                                          
                                
                        
                        
                         
                          
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