cinéma

10 canoës, 150 lances et 3 épouses de Rolf de Heer

[4.0]

 

 

Des antipodes, d’une région aussi reculée que sauvage, est arrivé à la fin 2006 un film étrange, qui tient à la fois du document ethnographique et d’un conte universel. Au nord de l’Australie en plein territoire bush, le jeune Dayindi convoite la plus jeune des trois épouses de son frère aîné Ridjimaril, menaçant ainsi les règles tribales. Lors d’une expédition pour aller chasser les oies sauvages dans les marais avoisinants, le vieux Minygululu entreprend de raconter au jeune amoureux une légende ancestrale où il est question d’amours interdites, d’enlèvement, de sorcellerie et de vengeance qui tourne mal. Une histoire narrée par épisodes entrecoupés d’un autre apprentissage, celui-là plus concret et immédiat : la confection de pirogues à partir d’écorces d’arbres pour aller ensuite débusquer les volatiles sur leur terrain.

 

10 canoës, 150 lances et 3 épouses se présente comme une fable mêlant écologie et philosophie. C’est une voix off qui nous guide à travers les différentes époques, celle de David Gulpilil, célèbre acteur aborigène australien, à l’initiative de ce curieux projet qui démarra par la découverte d’une vieille photographie en noir et blanc, représentant un groupe de dix hommes avec leurs canoës. A partir de ce cliché faisant resurgir un monde disparu, fut imaginé un scénario original mettant en scène une tribu aborigène dans une fable gigogne et pleine d’humour. Car avec un tel préambule, on pouvait craindre un film ennuyeux et didactique, proche de la caricature ou des bons sentiments. Agréable surprise, c’est exactement l’inverse : le film est franchement drôle, rythmé, utilise avec finesse le passage du noir et blanc à la couleur pour situer les époques. Et malgré la kyrielle de personnages aux noms difficilement mémorisables et des sous-titres parfois illisibles – ce sera là le principal reproche technique à lui adresser - , on pénètre sans problèmes et au contraire avec un plaisir croissant au fond de cette nature luxuriante où jeunes et vieux, femmes et hommes semblent vivre dans une pleine harmonie. Ainsi la polygamie n’entraîne-t-elle pas l’infériorité des femmes, absolument pas disposées à être les vassales de leurs époux ? Et dans l’annexe du camp où sont regroupés les jeunes hommes célibataires, les copains de Dayindi ne se gênent pas pour railler ses velléités de dragueur.

 

Dans ce monde naturaliste et contemplatif où chacun vit presque nu, la sexualité est abordée sans complexe. Dayindi a envie d’avoir une femme le plus rapidement possible, pas quand il sera vieux et que « sa bite sera ramollie ». Dans la file joyeuse des chasseurs, le vieux sage met en dernier celui d’entre eux sujet à des pets très odorants. Et il faut se méfier des étrangers cachant sous un morceau d’étoffe leur attribut, forcément ridicule et annonciateur de mauvais présages.

Tout cela est donc savoureux et facétieux en diable, mais aussi plein de bon sens et de sagesse car, on l’aura compris, la légende contée par le menu au fougueux et impatient Dayindi a pour objet de lui apprendre la patience et de le faire réfléchir aux conséquences inattendues de la convoitise et de l’envie. Impossible dès lors de ne pas tomber sous le charme de cette fable inventive qui parvient à nous rendre proche la culture d’une contrée et de ses habitants parmi les plus éloignées de notre Terre.

 

Patrick Braganti

 

Film d’aventures australien – 1 h 31 – Sortie le 20 Décembre 2006

Avec Crusoé Kurddal, Jamie Gulpilil, Richard Birrinbirrin

 

Plus+

www.10canoes-lefilm.com