cinéma

21 grammes de Alejandro González Inárritu 1/2

 

 

    Avec son casting 5 étoiles (Naomi Watts, Benicio del Toro, Sean Penn, et Charlotte Gainsbourg pour la touche « vieille Europe », qui dit mieux ?), son réalisateur chaud comme la braise (après le très remarqué Amours Chiennes) et son amorce poétique pour le moins intrigante (21 grammes serait le poids que tout le monde perd au moment précis de sa mort, le poids de l’âme), 21 Grams est d’ores et déjà l’un des évènements cinématographiques de l’année.

 

    Qu’en est-il alors exactement ? Peut-on déjà ranger sa carte illimitée et spéculer sur ce que les sorties ciné économisées vont nous permettre d’accomplir ? Bref, tient-on déjà le film de l’année ?

 

    Certains répondent « oui » sans aucune hésitation d’une voix encore nouée par l’émotion, d’autres hurlent à l’imposture auteuriste ou au chantage émotionnel… Du calme : 21 Grams est tout simplement un bon film, régulièrement impressionnant, voire saisissant, et c’est déjà beaucoup.

 

    La grosse affaire (outre le casting, sur lequel je reviendrai plus loin), c’est le dispositif filmique et esthétique, qui principalement, voire exclusivement, divise les spectateurs : grain hénaurme, décors hypra-réalistes aptes à faire passer Ken Loach pour Fellini, ambiance noire (non non, plus noire que ça encore), et surtout narration totalement éclatée, présentant des fragments de vie non linéaires.

 

    On peut bien évidemment ne pas adhérer à des partis pris aussi radicaux et tranchés, il n’en reste pas moins qu’ils sont d’une cohérence absolue. La caméra sur le qui-vive, le montage cut, collent au maximum au véritable foutoir existentiel et émotionnel qui définit les 3 personnages principaux. Le film est fait de blocs, de moments, qui visent à recréer un épisode clé qui les réunira finalement. La chronologie non respectée elle, se révèle extrêmement stimulante pour le spectateur qui doit sans cesse reconstituer le puzzle de ces vies (sous peine d’ailleurs de voir ses convictions constamment remises en cause) : qui sont ces personnages ? Qu’est ce qui les lie ? Depuis quand se connaissent-ils réellement ? Se connaissent-ils d’ailleurs tout simplement ? Toutes les questions auront une réponse, mais Iñarritu parvient à créer un véritable suspense autour de ces protagonistes. L’issue qu’on imagine dramatique, n’en sera par conséquent que plus lumineuse et libératrice (même s’il faudra logiquement en payer le prix…), éclairant littéralement le film, justifiant l’existence de la moindre seconde écoulée auparavant.

 

    Le casting donc. Qui fait l’unanimité lui, et c’est heureux. Je n’irai pas par 4 chemins : 21 Grams nous donne à voir une des plus belles interprétations de ces dernières années. Sean Penn, assez loin de son rôle physique et extraverti dans Mystic River, se révèle sensible comme jamais, usé, mais toujours debout, empathique, digne. Benicio Del Toro n’en finit pas de déployer une présence animale proprement stupéfiante : lui seul sans doute pouvait donner corps à ce personnage complexe et sans cesse tiraillé de délinquant repenti mais accablé par le destin. Naomi Watts quant à elle prouve une nouvelle fois après Mulholland Drive qu’elle est une actrice capable de tout donner à son interprétation, de se livrer comme personne, de se mettre à mal sans doute même.

 

    Tous les 3 donnent véritablement corps à des thèmes certes convenus (culpabilité, rédemption, fatalité), mais abordés ici par Iñarritu avec un aplomb, une énergie, une volonté de les empoigner avec virulence, qui forcent l’admiration. Alors « film de l’année » peut-être pas, mais au minimum, la suite d’une carrière des plus prometteuses.

 

Laurent