cinéma

American Splendor de S. Springer Berman & R. Pulcini  1/2

 

 

 

    Un peu à la manière d’Adaptation., l’étourdissant exercice de mîse en abyme échaffaudé par le tandem Kaufman-Jonze, American Splendor joue sur les frontières entre fiction et réalité, entre film et documentaire. Soit Harvey Pekar, sinistre documentaliste mais brillant observateur du quotidien, collectionneur compulsif de 78 tours de jazz et blues, handicapé de la vie notoire: bref, our kind of guy.

 

    Tout (ou presque) change le jour où il fait illustrer ses scénarios de bd par son ami dessinateur, un certain Robert Crumb. Presque seulement, car le fruit de son labeur, intitulé American Splendor comme il se doit, lui vaudra maintes critiques élogieuses mais des ventes ridicules le contraignant à garder son mode de vie précaire. Là où les choses se corsent (et deviennent diablement intéressantes…) c’est lorsque le film illustre la naissance de la bd qui elle-même narre les aventures au quotidien de Pekar et de son entourage (vous suivez?). Ainsi le vrai Pekar joue-t-il non seulement les narrateurs, mais apparait à l’écran pour apporter quelque éclairage sur telle ou telle anecdote, en plus de l’acteur interprétant son rôle (l’excellent Paul Giamatti, aperçu aux côtés de Jim Carrey dans l’immense Man on the Moon). Lorsqu’il est invité sur le plateau du David Letterman Show, ce sont les acteurs que l’on voit dans la loge de l’émission, puis lorsque Pekar rejoint le présentateur, les vrais images d’archives se substituent à eux et prennent harmonieusement le relai.

 

    C’est la grande réussite d’AS : un homme fait de sa vie une bd, fictionnalisant à peine son quotidien, et de même, les réalisateurs utilisent la réalité (le vrai Pekar et son épouse, Toby, le genuine nerd) pour en faire un film. Le procédé n’est certes pas inédit, mais utilisé avec une grande habileté notamment lorsque l’animation s’invite sans crier gare mais avec régularité.

 

    Il permet également d’illustrer le propos de Pekar selon qui la vie de tous les jours est bien plus complexe que celle de n’importe quel super-héros; il respecte surtout l’incroyable honnêteté intellectuelle du dessinateur, lui-même récupéré à plusieurs reprises par la société du spectacle (via Letterman) tout comme son ami nerd utilisé par l’ignoble machine à jeunisme MTV. Le tandem Springer Berman / Pulcini signe ainsi un coup de maître similaire à celui réalisé par Terry Zwigoff, novice s’emparant d’un bd douce-amère pour adultes, avec Ghost World (les 2 films partagent une même communauté d’esprit), drôle, mordant et subversif mais également tendre et plein d’humanité. Revenge of the Nerds, définitivement.

 

Laurent