cinéma

Bled number one de Rabah Ameur-Zaïmeche

[5.0]

 

 

En 2002, Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ?, premier long métrage de Rabah Ameur-Zaïmeche, avait reçu un accueil critique dithyrambique, pleinement justifié au regard de l’approche novatrice, dénuée de toute idée alarmiste, du monde de la banlieue. Dans ce film, le jeune réalisateur jouait Kamel. En tant que victime de la double peine, Kamel vivait son retour dans sa cité sous le signe de la dualité : à la fois élément constitutif de sa communauté et pièce rapportée.

 

A voir Bled number one, on comprend vite que les deux films constituent un diptyque : après avoir placé sa caméra dans le pays d’accueil, le cinéaste choisit en toute logique le pays d’origine. Le même Kamel, toujours interprété par Rabah Ameur-Zaïmeche, arrive en Algérie à sa sortie de prison, situant le temps du film avant celui de Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? et retrouve une position identique d’homme dans et hors la place. Cet exil forcé dans un pays dont il ne connaît peu de choses le contraint à observer avec lucidité une contrée en pleine effervescence, tiraillée entre modernité et conservation des traditions ancestrales. Même si Kamel en est le fil conducteur, Bled number one ne se limite pas à son seul parcours. En totale immersion, le film, qui fonctionne sur la sensation, est une succession de tableaux, comme autant d’instantanés de la vie d’un village et de ses habitants. Toujours coiffé d’un bob orange, qui l’identifie aisément au sein du groupe, Kamel exprime son incompréhension révoltée vis-à-vis des considérations épouvantables dans lesquelles certaines femmes rebelles sont tenues – et en particulier Louisa, elle aussi de retour au bled, rejetée par son mari qui nie ses désirs de devenir chanteuse et répudiée par sa mère et son frère qui lui reprochent de les couvrir de honte. Il est tout aussi désemparé par la violence tendue entre les villageois et un gang de jeunes hommes, sortes d’intégristes religieux, mais le réalisateur ne nous en dit pas plus.

 

Tout comme il ne fournit pas d’explications ni ne démontre jamais rien. Néanmoins, il ne se contente pas de montrer comme le ferait un banal documentaire ancré dans le réel. Bled number one, par ses partis pris de mise en scène – longs plans fixes investis par les personnages – et son approche respectueuse et décalée de l’Algérie est donc bien plus que cela. Soit l’œuvre d’un cinéaste qui se révèle dès son second film, en état de grâce, auteur d’une véritable écriture cinématographique. Il réussit ainsi à capter et à rendre la notion du temps suspendu, l’omniprésence du groupe, le poids des traditions – filmage en temps réel du sacrifice d’un taureau dont la viande sera ensuite partagée entre tous les habitants – et fait de Bled number one un récit élégiaque. Dans lequel le spectateur devra lui-même s’immerger pour un voyage sensoriel et empreint d’émotions.

Avare de dialogues, Bled number one , à la fois maîtrisé et en roue libre, intelligent et exigeant, privilégie les échos de la nature, le vent dans les arbres et le ressac des vagues dans une scène de bord de mer époustouflante. L’apparition soudaine du musicien Rodolphe Burger et de sa musique organique comme refuge solitaire des états d’âme de Kamel entraîne le film vers des confins plus mentaux et abstraits. S’il offre une ode incantatoire à son pays originel, Rabah Ameur-Zaïmeche offre aussi au cinéma français une participation qui l’honore. Un tel envol, une telle vision personnelle et humaniste au bout seulement de deux films font rentrer le jeune réalisateur dans la cour des grands.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 37 – Sortie le 7 Juin 2006

Avec Rabah Ameur-Zaïmeche, Meriem Serbah, Abel Jafri