cinéma

Buongiorno, notte de Marco Bellocchio

 

 

 

    Une visite d’appartement sous la conduite d’un Italien beau parleur (pléonasme ?) qui vante la lumière et les qualités du marbre et du parquet inaugure le dernier film de Marco Bellocchio, cinéaste souvent sulfureux qui a suscité par le passé nombre de colères y compris des plus hautes instances religieuses.

 

    Hélas, ses locataires – un couple pour la façade, bien comme il faut – ne vont pas profiter longtemps de tous ces beaux avantages, car cet appartement au cœur de Rome va devenir la geôle de Aldo Moro, alors président du conseil et chef de la Démocratie Chrétienne en 1978.

Nous voici donc replongés dans l’époque des « années de plomb » italiennes, où les Brigades Rouges semaient la terreur au sein de la communauté politique par leurs exactions et leurs enlèvements. Celles-ci, qui se réclamaient du marxisme-léninisme et voulaient instaurer la dictature du prolétariat, infligeaient à leurs prisonniers des simulacres de « procès du peuple »  souvent suivis d’ exécutions.

 

    Le film s’attache surtout à la double vie de Chiara (l’incandescente Maya Sansa déjà remarquée dans Nos meilleures années), seule femme du groupe de ravisseurs, par ailleurs employée dans un bureau pour donner le change d’ une vie rangée. La grande force du film est de nous montrer l’état quasi permanent d’angoisse que suscite la clandestinité. Chiara doit sans cesse se cacher même aux yeux de son petit ami moins dupe qu’il ne pourrait y paraître, auteur d’un scénario qui donne son titre au film et en est la version écrite. De plus en plus, la foi de la jeune fille dans les agissements de ses compagnons est ébranlée et lorsque l’exécution de Aldo Moro (Roberto Herlitzka impeccable) est envisagée, elle préfère se réfugier dans des délires oniriques et imaginer une fin plus heureuse.

On est aussi étonnés de voir combien est plutôt bien traité le prisonnier à qui on donne à manger et on plie ses chaussettes – ce qui lui permettra de supposer une présence féminine. Bellocchio établit même un étrange parallèle entre Moro le chrétien qui va jusqu’à écrire au pape pour implorer son intervention et ses ravisseurs révolutionnaires qui pourtant se signent avant le repas.

A travers les yeux effrayés et captivés de Chiara, qui n’a de cesse d’observer Moro, ce qui multiplie les plans rapprochés sur les regards captés dans l’œilleton de la porte, on comprend le dilemme qui l’habite et ne cesse de croître. Et dans cet appartement prison, on ne sait plus bien qui est l’otage de qui. Aldo Moro devenu gênant finit par être la double victime de ses ravisseurs, mais aussi des pouvoirs politique et spirituel, incarné par le vieillissant et peu téméraire Paul VI.

 

    Avec des extraits de films documentaires, la déjà omniprésence de la télévision italienne en toile de fond sonore, et surtout une très fidèle reconstitution de l’époque, Bellocchio signe ici un film éminemment politique et personnel. Il n’y porte aucun jugement sur les actions de chacun, mais pose la question du doute.

Habillé d’une musique très marquée années 70, avec entre autres les nappes vaporeuses du Pink Floyd, dont on pourra parfois regretter le côté inutilement appuyé, ce film pas sympathique et un tantinet revêche de prime abord, intéresse néanmoins et a le mérite de nous faire revivre une période que de nombreux jeunes spectateurs connaissent sans doute très peu.

 

Patrick