| Deux types de cinéma : celui qui, s’inscrivant
                              directement dans une filiation historique et
                              formelle, tend à offrir une vision renouvelée du
                              monde (le cinéma comme œuvre d’art) et celui
                              qui, sans abdiquer une probable ambition, relève
                              du divertissement d’abord (le cinéma comme entertainment).
                              La distinction n’est pas qu’intellectuelle.
                              C’est au contraire la base de tout travail
                              critique, qui dans le flou global cherche à
                              ancrer un film avant de l’explorer.   Petit film britannique de facture classique, Chronique
                              d’un Scandale se situe clairement dans la
                              seconde catégorie. Porté par la voix off d’une
                              vieille enseignante au seuil de la folie (Judi
                              Dench effrayante), rythmé par une réalisation
                              sans temps mort, scénarisé avec intelligence,
                              interprété naturellement : pour que tout
                              fonctionne, que le récit décolle, il faut ces
                              arguments mais autre chose encore dont on s’épuiserait
                              à rechercher la trace. Ni recette ni mode
                              d’emploi. S’il reste anecdotique, le film de Richard
                              Eyre possède d’indéniables qualités qui
                              lui permettent de dépasser parfois ses propres
                              limites.
                              
                               En décentrant par exemple le moteur même du film – la
                              liaison entre un Professeur de dessin (Cate
                              Blanchett aka Sheba Hart, corps liquide et
                              voix sombre) et un élève de quinze ans (Andrew
                              Simpson aka Steven Connolly, corps ado, accent
                              cockney) – dont la révélation n’a lieu qu’après
                              coup ; en désamorçant systématiquement
                              les bombinettes attendues (délation toujours
                              reportée, médiatisation réduite à des grappes
                              de journalistes hystériques, homosexualité
                              sous-tendue) ; en coupant court aussi à
                              toute forme de psychanalyse forcément
                              simplificatrice ; en filmant net enfin, à la
                              serpe dans le maquis des scènes pour garder
                              l’essentiel.   Au-delà du discours explicite sur la vieillesse, la
                              solitude et l’ennui, Chronique d’un
                              Scandale démonte le mécanisme complexe
                              d’une manipulation explicite (sur Sheba Hart)
                              mais laisse aussi poindre tout un faisceau de
                              manipulations diverses (du mari sur sa femme, de
                              Steven sur Sheba, des professeurs entre eux,
                              etc.). Le monde comme il va, en somme : où
                              l’empathie de façade recouvre une soif
                              constante d’intérêts personnels pour sauver sa
                              peau. Venu par surprise, Chronique d’un
                              Scandale s’achève quand il ouvre un nouveau
                              récit. Comme la vieille scribouillant un journal
                              qu’au fond elle met en scène, Richard Eyre
                              saisit une vérité de l’art, le vrai ; ou
                              comment, sacrifiant la vie à l’œuvre, tout écraser
                              sur son passage.  
                              
                               Christophe Malléjac 
                              
                               Film britannique (2006) – 1 H 32 – Sortie le 28 février
                            2007 Avec
                            Judi Dench, Cate Blanchett, Andrew Simpson     |