cinéma

Chronique d’un Scandale de Richard Eyre 

[4.5]

 

 

Deux types de cinéma : celui qui, s’inscrivant directement dans une filiation historique et formelle, tend à offrir une vision renouvelée du monde (le cinéma comme œuvre d’art) et celui qui, sans abdiquer une probable ambition, relève du divertissement d’abord (le cinéma comme entertainment). La distinction n’est pas qu’intellectuelle. C’est au contraire la base de tout travail critique, qui dans le flou global cherche à ancrer un film avant de l’explorer.

 

Petit film britannique de facture classique, Chronique d’un Scandale se situe clairement dans la seconde catégorie. Porté par la voix off d’une vieille enseignante au seuil de la folie (Judi Dench effrayante), rythmé par une réalisation sans temps mort, scénarisé avec intelligence, interprété naturellement : pour que tout fonctionne, que le récit décolle, il faut ces arguments mais autre chose encore dont on s’épuiserait à rechercher la trace. Ni recette ni mode d’emploi. S’il reste anecdotique, le film de Richard Eyre possède d’indéniables qualités qui lui permettent de dépasser parfois ses propres limites.

En décentrant par exemple le moteur même du film – la liaison entre un Professeur de dessin (Cate Blanchett aka Sheba Hart, corps liquide et voix sombre) et un élève de quinze ans (Andrew Simpson aka Steven Connolly, corps ado, accent cockney) – dont la révélation n’a lieu qu’après coup ; en désamorçant systématiquement les bombinettes attendues (délation toujours reportée, médiatisation réduite à des grappes de journalistes hystériques, homosexualité sous-tendue) ; en coupant court aussi à toute forme de psychanalyse forcément simplificatrice ; en filmant net enfin, à la serpe dans le maquis des scènes pour garder l’essentiel.

 

Au-delà du discours explicite sur la vieillesse, la solitude et l’ennui, Chronique d’un Scandale démonte le mécanisme complexe d’une manipulation explicite (sur Sheba Hart) mais laisse aussi poindre tout un faisceau de manipulations diverses (du mari sur sa femme, de Steven sur Sheba, des professeurs entre eux, etc.). Le monde comme il va, en somme : où l’empathie de façade recouvre une soif constante d’intérêts personnels pour sauver sa peau. Venu par surprise, Chronique d’un Scandale s’achève quand il ouvre un nouveau récit. Comme la vieille scribouillant un journal qu’au fond elle met en scène, Richard Eyre saisit une vérité de l’art, le vrai ; ou comment, sacrifiant la vie à l’œuvre, tout écraser sur son passage.

 

Christophe Malléjac

Film britannique (2006) – 1 H 32 – Sortie le 28 février 2007

Avec Judi Dench, Cate Blanchett, Andrew Simpson