cinéma

De particulier à particulier de Brice Cauvin

[4.0]

 

 

La première scène du premier long-métrage de Brice Cauvin, précédant le générique, situe d’emblée les deux personnages principaux : on y voit Philippe courir comme un dératé pour rattraper sa jeune épouse Marion devant leurs deux enfants sages comme des images, assis sur un canapé. La couleur est annoncée : mélange des genres, situations ubuesques pouvant déconcerter le spectateur à qui on laissera par la suite toute latitude à interpréter, à trouver ses propres clefs.

 

L’étrangeté du film prend toute sa signification lorsque Philippe et Marion, projetant des vacances à Venise, décident en fin de compte de ne pas y aller, mais de n’en rien dire à leurs amis et leur famille. Une décision illogique, peut-être provoquée parce qu’ils ont récupéré dans le hall d’une gare le bagage d’un voyageur négligent, qui se révélera contenir une petite fortune. A partir de cet incident croustillant, le doute et la peur s’installent au sein du couple jusqu’à se transformer en panique pour Philippe, en dépression pour Marion et ébranler les bases de leur union.

Mélange des genres, disions nous, c’est tout aussi vrai pour ce qui est de qualifier le film : fantastique, thriller ou chronique en roue libre de la crise d’un couple, comédie du remariage sans réelle séparation ? Esprits cartésiens s’abstenir car Brice Cauvin nous trimballe sans trop nous fournir d’explications.

 

De particulier à particulier est régi par le principe de l’incertitude et du doute, qui pour le réalisateur n’est nullement un signe de décomposition du couple, lequel se construit aussi à travers les moments difficiles et fragiles. Le mensonge innocent auquel se livrent Philippe l’inquiet naturel et Marion la fantasque finit par ricocher de manière inattendue : s’appropriant la paranoïa ambiante, relayée par les média en ces temps d’attentats et de terrorisme, ils se persuadent d’être impliqués dans une histoire de terrorisme (la valise bourrée de billets) et se trompent du coup sur le motif de leur angoisse. Pour Philippe et Marion, l’affabulation protectrice et ludique dissimule la vraie peur à gérer leur vie, à se comporter comme deux adultes devant éduquer leurs deux garçons, envisager un déménagement, bref assumer leur fonction sociale.

Issu d’une famille bourgeoise – sa mère passe son temps à dévaliser les salles des ventes et à ramener à sa belle-fille des tas d’objets -, Philippe est incapable de s’engager dans l’acquisition d’un appartement, dans son travail d’architecte dont il sera d’ailleurs viré. Doubleuse pour des séries télé, Marion est tout aussi puérile et irresponsable. Fable et parabole érigées en art du vagabondage, De particulier à particulier ne s’inscrit guère dans le réel, tant Philippe et Marion paraissent éloignés des contingences matérielles.

 

L’ancien assistant réalisateur qui a fourbi ses armes auprès de Philippe Harel, Pierre Salvadori ou encore Nicole Garcia, réussit un premier long-métrage en tout point cohérent, flirtant avec l’abstraction et travaillant sur la suggestion permanente  toujours déroutant et fantaisiste. Et sans doute parce que Hélène Fillières est au générique, pense t-on aussi à l’œuvre de sa sœur Sophie, dont Gentille présente des similitudes avec De particulier en particulier. Tout comme avec Un homme, un vrai, radiographie du couple des frères Larrieu, où la longiligne Hélène faisait déjà sensation. La boucle est bouclée…

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique française – 1 h 34 – Sortie 19 Avril 2006

Avec Laurent Lucas, Hélène Fillières, Anouk Aimée