cinéma

Le Grand Appartement de Pascal Thomas

[4.5]

 

 

Contrairement aux apparences, le cinéma de Pascal Thomas ne s’écrit pas contre. Ni contre la grande internationale du cinéma contemporain grand public, habillage glacé brillant d’iconographie médiocre ; ni contre la puissance financière dont l’activisme grotesque engendre tôt ou tard son propre mépris ; ni contre le processus d’aplanissement généralisé dont chaque couche de la société – et sa représentation du même coup – fait l’objet. Ainsi, l’exhibition répétée des aisselles poilues de Laetitia Casta ne relève pas d’une tentative d’écrasement de l’idole mais bien de sa révélation, dans un sens quasi métaphysique, comme on l’entendrait par exemple d’une parole divine. Le Grand appartement est d’abord cela, une longue séance d’exhibitionnisme salvateur, de lutte contre la cohérence trop lisse qu’on (monde marchand, société complice, capitalisme étalé) voudrait nous vendre.

 

Pas contre donc, mais résolument pour. A l’instar du Miles Davis des années électriques dos au public dans sa musique, Thomas creuse une trouée d’air libre au cœur d’un monde – soit, encore une fois, de sa représentation – devenu étouffant, étouffé, perversement mortifère. S’il peut se le permettre, c’est justement parce qu’il a d’abord su, instinctivement, faire de la mort une hypothèse admise, qu’on évitera de considérer avec trop de solennité (« Pour éviter les soucis, ne pas s’en faire » dit en substance Francesca). Acceptée (comment faire autrement ?), apprivoisée puis écartée, la mort se contente de parcourir en filigrane l’ensemble du récit via, entre autres, une grand-mère dégénérescente, un bistrot menacé ou l’amour en péril. Avantage indéniable pour Thomas : là où 90 % du cinéma contemporain s’ébroue en vain pour repousser l’inexorable fin (que sont les thrillers, action movies et autres films de genre sinon de lourdes machineries destinées à vaincre, littéralement, la mort ?), il est déjà passé. C’est dans ce temps d’avance, jouissif et si peu partagé, que s’ancrent ses films.

 

Conséquence directe de cette tranquillité gagnée, tout bétonnage excessif devient superflu. A bas les scénarios huilés huileux, cadres délicats storyboardés, préciosité maniériste. Et vive la mise en scène habile, inventive et discrète, à la colle d’une histoire éclatée dont le fil rouge (menace d’expropriation) n’est qu’un prétexte limite McGuffin à l’étalage patchwork d’une humanité assumée sans complexe. Pour qui veut y voir de près, il y trouvera son compte : les hommes, les femmes, la vanité, le jeu, la culpabilité, la cupidité, l’amour, le cinéma, et quoi encore. Ce cinéma-là ressuscite naturellement ce que ses confrères rejettent en bloc, et se construit à la manière foutraque des films des années 70, les mains dans le cambouis. Odoriférant et imparfait, il s’écarte notamment de l’imagerie factice du cinéma High Tech comme des sépias en toc d’une Amélie Poulain.

 

Ici plus qu’ailleurs, l’essai n’est transformable qu’avec l’assentiment d’un casting à la hauteur des enjeux. On a presque honte d’en parler tant Pascal Thomas est passé maître dans l’art de faire disparaître ses comédiens sous leurs nouvelles peaux. Mentions spéciales cependant à Laetitia Casta, actrice surprise si peu mannequin ; à Mathieu Amalric, identique mais toujours différent ; à Pierre Arditi, classique et moderne. Surtout, en contrefond esquissé, Paris prend la pose d’une provinciale tranquille : motif (woody) allenien parmi d’autres, ou la communauté d’intérêts de deux réalisateurs old school, modèles de légèretés et d’élégance pour époque en panne.

 

Christophe Malléjac 

 

Film français – 143 – Sortie le 27 décembre 2006

Avec Laetitia Casta, Mathieu Amalric, Pierre Arditi.