cinéma

Hôtel Rwanda de Terry George

[2.5]

 

 

    Les guerres et les pires tragédies – un génocide en est une des plus effroyables – ont toujours révélé au monde et à eux-mêmes des êtres d’exception, transcendés par les événements, prêts à tous les dangers pour sauver leurs semblables, leurs amis, leurs voisins. Pendant la seconde guerre mondiale, des Français ont ainsi caché des Juifs leur évitant un sort tragique : ils furent désignés sous le terme digne et mérité de Justes.

 

    Paul Rusesabagina, dont Hôtel Rwanda conte l’histoire, est à sa façon un Juste. En 1994, il est sous-directeur de l’hôtel des Milles Collines à Kigali, un endroit select apprécié des touristes européens et américains. Hutu d’origine, il est marié à une Tutsi et dirige son établissement avec poigne et diplomatie, sachant composer avec les décideurs qui le fréquentent.

Nous sommes juste dans les jours qui précédent les trois mois qui, d’avril à juillet, seront le théâtre du massacre organisé de centaines de milliers de Tutsi par leurs compatriotes Hutus. Alors qu’il est mis en garde par son beau-frère Tutsi, Paul ne peut se résoudre à l’éventualité d’un conflit soudain et à grande échelle entre les deux ethnies et il est persuadé que tout débordement sera aussitôt maîtrisé par les Casques Bleus présents. Dans sa famille comme dans le personnel de son hôtel, Hutus et Tutsi se côtoient sans heurts et sans animosité.

Lorsque les deux présidents du Rwanda et du Burundi sont tués dans un accident d’avion orchestré par des extrémistes refusant les accords de paix signés en août 93, c’est le début des hostilités marqué par les meurtres des Tutsi haut placés et des Hutus modérés. Très vite les événements prennent une tournure incontrôlable, provoquant exode des autochtones et retrait de la quasi totalité des troupes onusiennes.

 

    Dans l’anarchie grandissante, Paul veut tout entreprendre pour épargner l’horreur aux siens et accueille d’abord à son corps défendant puis avec détermination plus de 1200 personnes dont une majorité d’enfants dans son hôtel déserté par les occidentaux.

Malgré l’authenticité de ce destin hors du commun, Hôtel Rwanda fait le choix d’un traitement plus fictionnel que documentaire dans le souci louable de toucher un large public et d’en faire un film témoignage, en pointant l’absence volontaire des superpuissances qui auraient pu éviter un tel massacre.

Il est toujours difficile de ne pas être ému et touché par la vision d’un destin en devenir, le passage de l’homme au héros ; d’autant plus que la mise en scène conventionnelle est néanmoins efficace et enlevée. Alors d’où vient qu’au final on ne soit pas complètement emballés par Hôtel Rwanda ? D’abord à cause de sa facture américaine, qui privilégie le tire-larmes et l’émotion un peu facile. Ensuite parce qu’entendre tout le monde : indigènes comme étrangers parler en anglais provoque un trouble identique déjà ressenti avec Le Pianiste de Polanski où tous les réfugiés du ghetto de Varsovie maniaient la langue de Shakespeare avec maestria. On sait que le français est plus répandu au Rwanda, ancienne colonie belge, et il est regrettable de ne jamais l’entendre.

Enfin et surtout, on peut trouver préjudiciable que la petite histoire – au demeurant légitime et respectable de Paul Rusesabagina – finisse par l’emporter sur la grande, tenue à bonne distance, hormis quelques scènes de combats de rues. Il y a là un manque singulier de perspectives et de volonté d’inscrire le film dans un contexte historique plus large. Peut-être la fiction s’arrange t-elle mal, avec seulement quelques années de recul, de la réalité la plus noire et dramatique ?

 

    Hôtel Rwanda a le mérité d’évoquer un passé récent qui a anéanti un pays et ne doit pas rendre fière une communauté internationale lâche et démissionnaire. Pour autant, ce n’est pas un grand film au sens cinématographique, juste un travail honnête et empli de bonnes intentions. Un peu trop, sans doute.

 

Patrick Braganti

 

Film britannique – 2 h 00 – Sortie le 30 Mars 2005

Avec Don Cheadle, Sophie Okonedo, Nick Nolte

 

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Plus+

Pour les personnes que le génocide rwandais interpelle, nous recommanderons la lecture salutaire et incontournable des deux essais de Jean Hatzfeld : Dans le nu de la vie, récits des marais rwandais et Une saison de machettes, témoignages respectifs des rescapés Tutsi et des tortionnaires Hutu enrichis de commentaires clairs sur la genèse du génocide.

Ces deux essais sont à présent disponibles en format poche chez Points Seuil.