cinéma

L’Immeuble Yacoubian de Marwan Hamed

[3.0]

 

 

N’allez pas croire que la saga estivale soit réservée à la seule télévision. En effet en pénétrant dans les murs et les appartements de L’Immeuble Yacoubian, on pense de suite que ce long film découpé en saynètes qui alternent moments de joie et de bonheur avec instants plus tragiques est taillé pour une série télé, pour peu qu’on en rallonge la durée et épaississe certains personnages.

 

Inspiré du livre éponyme de Alaa’Al-Aswany, bénéficiant du plus gros budget jamais accordé à un film en Egypte, L’Immeuble Yacoubian est une longue fresque, mettant en scène avec lyrisme et parfois sans grande finesse ses occupants, les nantis confortablement installés dans les gigantesques appartements et les pauvres relégués sur le toit du bâtiment. Le microcosme ainsi constitué se veut l’échantillon représentatif de la société égyptienne où se côtoient les nostalgiques de l’ère Farouk, quand Le Caire rivalisait avec Paris pour sa culture et son architecture, et les jeunes blasés et résignés, qui optent pour l’émigration ou le refuge dans l’islamisme dur.

Dans un pays encore corseté, en proie à l’influence violente des mouvements islamistes, dirigé par un pouvoir corrompu et largement inféodé aux Etats-Unis, la liberté de ton et l’audace manifestée par L’Immeuble Yacoubian soulèvent l’admiration. En effet, il ne doit pas être si facile d’installer comme protagonistes le fils épicurien d’un véritable pacha, rentier et coureur de jupons ; un ancien cireur de chaussures reconverti dans la politique prêt à tout payer pour y faire sa place ; ou encore le rédacteur en chef homosexuel d’un grand journal local. Montrer à la fois un décadent mélancolique, un homme d’affaires véreux et compromis et un intellectuel homosexuel décidé vaille que vaille à vivre ses penchants dénote donc de la part du cinéaste d’un véritable esprit d’indépendance, doublé d’une volonté de construire une œuvre cohérente ancrée dans la réalité égyptienne.

 

Néanmoins, le film n’évite pas tous les écueils inhérents à ce genre de projets : vouloir trop montrer, trop en dire. Sont ainsi évoqués le mariage forcé et marchandé des femmes, le cloisonnement de la société entre riches et pauvres qui conduit une frange de ces derniers, humiliée et frustrée, à se tourner vers l’intégrisme, la nature indéfectiblement mercantile et intéressée des gens de pouvoir – trafics et magouilles en tout genre pour un siège au Parlement, la récupération d’un luxueux appartement, l’obtention d’un poste.

Lorsque L’Immeuble Yacoubian verse dans le tragique, à grand renfort de musique pompière, il devient lourd et didactique. A l’inverse, on se délecte davantage dans ses moments légers, où la faconde et la politesse mielleuse et roublarde arabes font des merveilles. Comme dans tout le bassin méditerranéen, la truculence et le sens de l’apparat et de la comédie sont au rendez-vous pour notre plus grand plaisir.

 

Projet ambitieux et audacieux, L’Immeuble Yacoubian ne bénéficie pas dans sa mise en scène de la même hardiesse. C’est donc un beau film très classique et sans surprises, heureusement servi par une belle interprétation et ponctué de savoureux moments. A la triste heure où Nadjib Mahfuz vient de disparaître, on n’oubliera pas de rappeler que l’approche de la culture et de la société égyptiennes passe aussi par sa lecture.

 

Patrick Braganti

 

Drame égyptien – 2 H 52 – Sortie 23 Août 2006

Avec Adel Imam, Nour El Sherif, Youssra, Hend Sabry