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                               N’allez
                              pas croire que la saga estivale soit réservée à
                              la seule télévision. En effet en pénétrant
                              dans les murs et les appartements de L’Immeuble
                              Yacoubian, on pense de suite que ce long film
                              découpé en saynètes qui alternent moments de
                              joie et de bonheur avec instants plus tragiques
                              est taillé pour une série télé, pour peu
                              qu’on en rallonge la durée et épaississe
                              certains personnages. 
                               
                              
                               
                              Inspiré
                              du livre éponyme de Alaa’Al-Aswany, bénéficiant
                              du plus gros budget jamais accordé à un film en
                              Egypte, L’Immeuble Yacoubian est une
                              longue fresque, mettant en scène avec lyrisme et
                              parfois sans grande finesse ses occupants, les
                              nantis confortablement installés dans les
                              gigantesques appartements et les pauvres relégués
                              sur le toit du bâtiment. Le microcosme ainsi
                              constitué se veut l’échantillon représentatif
                              de la société égyptienne où se côtoient les
                              nostalgiques de l’ère Farouk, quand Le Caire
                              rivalisait avec Paris pour sa culture et son
                              architecture, et les jeunes blasés et résignés,
                              qui optent pour l’émigration ou le refuge dans
                              l’islamisme dur. 
                              Dans
                              un pays encore corseté, en proie à l’influence
                              violente des mouvements islamistes, dirigé par un
                              pouvoir corrompu et largement inféodé aux
                              Etats-Unis, la liberté de ton et l’audace
                              manifestée par L’Immeuble Yacoubian soulèvent
                              l’admiration. En effet, il ne doit pas être si
                              facile d’installer comme protagonistes le fils
                              épicurien d’un véritable pacha, rentier et
                              coureur de jupons ; un ancien cireur de
                              chaussures reconverti dans la politique prêt à
                              tout payer pour y faire sa place ; ou encore
                              le rédacteur en chef homosexuel d’un grand
                              journal local. Montrer à la fois un décadent mélancolique,
                              un homme d’affaires véreux et compromis et un
                              intellectuel homosexuel décidé vaille que vaille
                              à vivre ses penchants dénote donc de la part du
                              cinéaste d’un véritable esprit d’indépendance,
                              doublé d’une volonté de construire une œuvre
                              cohérente ancrée dans la réalité égyptienne. 
                               
                              
                               
                              Néanmoins,
                              le film n’évite pas tous les écueils inhérents
                              à ce genre de projets : vouloir trop
                              montrer, trop en dire. Sont ainsi évoqués le
                              mariage forcé et marchandé des femmes, le
                              cloisonnement de la société entre riches et
                              pauvres qui conduit une frange de ces derniers,
                              humiliée et frustrée, à se tourner vers l’intégrisme,
                              la nature indéfectiblement mercantile et intéressée
                              des gens de pouvoir – trafics et magouilles en
                              tout genre pour un siège au Parlement, la récupération
                              d’un luxueux appartement, l’obtention d’un
                              poste. 
                              Lorsque
                              L’Immeuble Yacoubian verse dans le
                              tragique, à grand renfort de musique pompière,
                              il devient lourd et didactique. A l’inverse, on
                              se délecte davantage dans ses moments légers, où
                              la faconde et la politesse mielleuse et roublarde
                              arabes font des merveilles. Comme dans tout le
                              bassin méditerranéen, la truculence et le sens
                              de l’apparat et de la comédie sont au
                              rendez-vous pour notre plus grand plaisir. 
                               
                              
                               
                              Projet
                              ambitieux et audacieux, L’Immeuble Yacoubian
                              ne bénéficie pas dans sa mise en scène de la même
                              hardiesse. C’est donc un beau film très
                              classique et sans surprises, heureusement servi
                              par une belle interprétation et ponctué de
                              savoureux moments. A la triste heure où Nadjib
                              Mahfuz vient de disparaître, on n’oubliera
                              pas de rappeler que l’approche de la culture et
                              de la société égyptiennes passe aussi par sa
                              lecture. 
                               
                              
                               
                              Patrick
                              Braganti 
                               
                              
                               
                              Drame
                              égyptien – 2 H 52 – Sortie 23 Août 2006
                              
                               
                              Avec
                              Adel Imam, Nour El Sherif, Youssra, Hend Sabry 
                              
                               
                                
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