cinéma

Lady Chatterley de Pascale Ferran

[5.0]

 

 

Faites un petit jeu autour de vous : évoquez Lady Chatterley et à coup sûr votre interlocuteur vous parlera avec lubricité complice d’une aristocrate volage et pas farouche, entretenant des relations torrides avec son domestique en cachette d’un mari handicapé, le tout nimbé d’une touche érotique. Les poncifs ont décidément la vie dure, et tout aussi encombrés de ceux-ci, nous fûmes d’abord étonnés du projet de Pascale Ferran d’adapter le roman sulfureux de D.H. Lawrence. Il faut dire que dix années se sont écoulées depuis le dernier film – d’ailleurs un téléfilm L’Age des possibles pour Arte en 1996 – de cette réalisatrice et scénariste, militante activiste à ses heures, dont on avait apprécié les questionnements subtils et inspirés sur le deuil et les atermoiements d’une génération. Notre étonnement mâtiné de crainte n’était en rien justifié, aveuglés que nous étions par l’aura scandaleuse d’un roman, jamais lu au demeurant, trop vite réduit à une histoire de cul. A notre décharge et pour notre confusion, ajoutons que D.H. Lawrence a écrit trois versions de Lady Chatterley et que c’est la seconde que Pascale Ferran s’approprie, celle dans laquelle l’amant est un garde-chasse solitaire, taiseux et rugueux, et non pas un ex-officier de l’Armée des Indes ayant choisi de vivre en ermite, comme il est présenté dans la troisième version. Cette différence de classes et le rapport patronne versus employé ont une place prépondérante dans l’histoire, en instaurant une dimension politique cruciale.

 

En 1921, au cœur du pays minier d’Angleterre, Clifford Chatterley et son épouse Constance sont installés à Wragby Hall. L’ancien lieutenant de l’armée britannique est revenu de Flandres en morceaux, hémiplégique et sans doute impuissant. La vie s’écoule monotone et indifférente, rythmée par les codes de conduite de l’aristocratie locale. Lorsque l’état de Clifford nécessite l’embauche d’une garde-malade, Constance moins occupée part à la découverte du parc, de la forêt et rencontre Parkin, le garde-chasse du domaine, vivant retranché dans sa maison au milieu des bois dans une solitude consciencieusement bâtie et assumée.

Entre Constance, jeune femme annihilée dans son désir et son émancipation, et Parkin rustre et renfermé, va naître ce qu’il faut bien nommer l’amour. Lady Chatterley va ainsi décortiquer par le menu l’installation et l’évolution de ce couple à priori déséquilibré. Car ici il ne s’agit ni d’un coup de foudre, ni d’une passion soudaine et enflammée. Au contraire, nous assistons à l’apprentissage de deux êtres dissemblables – milieu, éducation, âge, corps – dont seule l’extrême solitude, subie ou volontaire, crée un possible point de jonction. D’abord mus par le désir physique, les deux amants s’ébattent sauvagement et précipitamment sur le sol de la cabane de Parkin, le seul à prendre son plaisir. Avant que les bouches s’embrassent, que les corps se dénudent au grand jour, il faut du temps car à chaque nouveau rendez-vous les deux amants doivent se ré-apprivoiser, se remettre en phase et se persuader qu’ils ont quelque chose à faire ensemble. C’est donc une relation qui se construit au présent puisqu’elle est du domaine de l’impensable et rend absurde toute projection. Cependant, elle évolue petit à petit, s’inventant de nouveaux horizons au fur et à mesure que les deux amants se transforment. La transformation, celle d’une jeune femme engoncée dans son milieu en femme libre et moderne, celle plus lente du garde-chasse capable d’entrevoir la dimension universelle et panthéiste de l’amour de Constance, rythme tout le film dont elle devient le fil conducteur. Pascale Ferran la montre essentiellement à travers toutes les mutations du règne végétal qui semble envahir tout le film. La nature est ici omniprésente, décor naturel au diapason exact des sentiments éprouvés. Les saisons passent, les paysages se transforment et avec eux la relation entre Constance et Parkin, dans la plus parfaite des osmoses. On pense parfois au cinéma naturaliste de Terrence Malick.

 

Pascale Ferran s’offre le luxe inouï et salutaire d’inscrire Lady Chatterley dans la durée, ce qui nous permet de percevoir les infimes et progressifs changements d’un amour en construction. Il faudrait bien sûr vanter la qualité et la justesse de l’interprétation, l’exactitude du découpage et la dimension politique du propos. On terminera simplement en disant que Lady Chatterley est un sublime film d’amour, où la liberté et la réinvention du monde prennent toute leur ampleur. Un retour donc vainqueur…

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 2 h 38 – Sortie le 1er Novembre 2006

Avec Marina Hands, Jean-Louis Coulloc’h, Hippolyte Girardot