cinéma

La fille du juge de William karel

[4.0]

 

 

Lorsque en 1988 les deux candidats à la présidence de la République s’affrontent lors d’un face-à-face d’anthologie, Jacques Chirac et François Mitterrand à coup de « contestations les yeux dans les yeux » essaient de s’exonérer de leurs responsabilités dans l’affaire Gorji. Une sombre affaire d’échanges de terroristes contre les otages libanais Carton et Fontaine, une affaire où la justice dut s’incliner devant la raison d’Etat au grand dam d’un de ses représentants : le juge Gilles Boulouque, juge de l’anti-terrorisme qui s’était fait connaître en prenant en charge les brûlants dossiers des attentats tragiques parisiens du milieu des années 80. Suite à des fuites et à un entretien accordé au Journal du Dimanche, Boulouque est accusé deux ans plus tard d’avoir violé le secret de l’instruction et lâché par la quasi totalité de ses pairs. L’homme fragile, voué à son travail comme à un sacerdoce, conscient de son immense solitude, ne supporte pas son inculpation et met fin à ses jours, laissant derrière lui sa femme et ses deux enfants : Sylvain et Clémence.

 

Peut-être parce qu’elle est sa fille (le rapport fusionnel entre un père et sa fille), probablement parce qu’elle est encore au moment de la disparition du juge une pré-adolescente de treize ans, sans doute parce qu’elle s’est comportée de manière puérile et butée les mois précédents ne comprenant pas le repli sur soi ni la tristesse accrus de son père, toujours est-il que Clémence (le choix de son prénom laisse entrevoir l’humour et la distanciation ironique de ses parents) vit très mal la tragique disparition de son héros, de sa lumière. Enfermée pendant des années dans le silence et un deuil rendu impossible par ce mutisme, Clémence Boulouque choisit la voie de l’écriture pour rendre hommage à son père et sublimer sa douleur. Ce sera le bouleversant Mort d’un silence, qui vient de séduire, émouvoir et surtout inspirer le documentariste William Karel, plutôt habitué des coulisses du pouvoir politique où il a réalisé des portraits incisifs et originaux.

 

Nous sommes ici placés au niveau d’une jeune femme largement dépassée par les événements qui l’entourent et la brisent. Karel n’a pas refait une enquête, mais a opté pour l’adaptation fidèle du récit de Clémence, en tenant éloignée toute idée de reconstitution. Les matériaux du film sont essentiellement ceux apportés par Clémence, constitués de photos et de petits films de famille tournés en super-8, à quoi viennent s’ajouter des archives d’émissions et de journaux télévisés. Le travail de Karel est en quelque sorte réduit à celui du monteur et de l’assembleur car seules les images tournées à New York où Clémence vient cacher son silence et tenter de vaincre son chagrin sont des images tournées par le réalisateur. L’originalité du dispositif mis en place est encore renforcée par l’utilisation d’une voix off, celle de Elsa Zylberstein qui exprime les pensées et les tourments de Clémence. S’il n’y a rien à redire sur le procédé dont on peut au contraire souligner la pudeur et le respect, on peut néanmoins regretter le ton monocorde et presque aseptisé de la comédienne.

 

Peu importe, c’est là jouer les coupeurs de cheveux en quatre. Car, plus que relater les méandres louches et emberlificotés de l’affaire Boulouque qui ne nous apprendra rien en matière de collusion justice-politique sous couvert du bien de la nation et de quelques uns de ses ressortissants, La fille du juge donne à voir le douloureux parcours d’une gamine, devenue adolescente puis jeune femme solitaire cherchant à surmonter sa peine et à rendre hommage à la mémoire bafouée de son père.

 

William Karel réussit la mise en images d’un texte simple et déchirant, hanté par le manque et la solitude. On peut espérer que grâce à ce travail digne et élégant Clémence Boulouque continue à progresser sur le tortueux chemin qui mène à la sérénité.

 

Patrick Braganti

 

Film Documentaire français – 1 h 30 – Sortie le 4 Janvier 2006

Avec Clémence Boulouque et la voix de Elsa Zylberstein

 

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