cinéma

Le promeneur du Champ de Mars de Robert Guédiguian     

 

 

    Première bonne nouvelle : Robert Guédiguian est capable de quitter les contreforts de l’Estaque et sa bande de comédiens attitrés, d’abandonner ses fictions à haute dose sociale où amitié et amour se percutent avec plus ou moins de bonheur.

Seconde raison de se réjouir : il est possible de réaliser un film sur un homme clef de la récente histoire de France à peine dix ans après sa mort sans verser dans l’hagiographie élogieuse ni la restitution d’événements d’une époque.

 

    L’homme en question, c’est évidemment François Mitterrand, dont le nom n’est d’ailleurs jamais prononcé car uniquement désigné ou interpellé sous le vocable distant et fonctionnel du Président. Plus précisément ce sont les derniers mois du dernier dirigeant de gauche sur lesquels se penche Guédiguian en adaptant de manière libre et partielle le bouquin de Georges-Marc Benamou : Le Dernier Mitterrand. Le jeune journaliste avait mené une série d’entretiens de 1992 à fin 1995 auprès de l’homme d’état et en avait tiré un livre à succès, mais controversé au sein même de la gauche.

Le Promeneur, film de conversations, sans véritable action, se bâtit autour de cette complicité entre les deux hommes qui tient à la fois de la relation filiale type père-fils ou maître-élève et de la fascination exercée par le Président sur le jeune homme pas loin de foutre en l’air sa propre vie privée. A cet égard, les moments du film consacrés aux déboires de la vie sentimentale du journaliste n’apportent qu’une aération passagère à l’intérêt limité.

Pour apprécier à sa juste valeur ce très bon film politique, il ne faut surtout pas en attendre un exercice même réussi d’imitation ou de reconstitution. Nous sommes ici dans le domaine nettement plus excitant de l’appropriation. Aussi bien celle du cinéaste que celle de Michel Bouquet, indiscutable grand comédien qui parvient à faire oublier l’homme qu’il est censé jouer. La qualité de son jeu passe non par la recherche mimétique mais bel et bien par une interprétation personnelle. Du très grand art.

 

    Il n’y a donc pas ici volonté de faire renaître un temps particulier avec son actualité. Point de famille, point de ministres, seulement quelques amis fidèles dont on pense qu’ils constituaient la garde rapprochée, comme le chauffeur, le toubib particulier. Point de Président au travail serait-on tenté de dire, si ce n’est au cours de la scène du discours de Liévin devant une foule éparse de mineurs. Une scène émouvante où Guédiguian filme en lent travelling une brochette de visages fatigués et captivés par les mots du Président singulièrement prophétique sur l’oubli de la classe ouvrière.

Nous sommes ainsi dans l’entre-deux, dans des moments intimes comme cette autre magnifique scène du bain où le monarque se montre nu et usé. Car certes il s’agit de l’homme qui dirigea le pays pendant quatorze ans, pétri de contradictions, s’arrangeant avec sa propre biographie, balayant d’un geste les sujets gênants comme Vichy et Bousquet sur lesquels le journaliste revient à plusieurs reprises. Mais il est avant tout question d’un homme en fin de vie, qui n’ignore rien de sa disparition prochaine. Et qui se bat avec tout cela, allant caresser le tombeau des Gisants à la cathédrale de Chartres, faisant des repérages pour le lieu de sa sépulture, évoquant sa trace dans l’Histoire avec cynisme et mégalomanie. Un homme infiniment lucide et solitaire qui semble trouver réconfort dans la culture et surtout la littérature. Un homme au verbe toujours précis et choisi, un amoureux des mots, mais aussi des femmes et des plaisirs de la chère.

 

    Comme beaucoup, Robert Guédiguian sait combien Mitterrand avait incarné la possibilité du socialisme en France et a été à l’origine d’une décennie d’espoirs et de renouveau. Le Promeneur n’est pas pour autant un film hommage. Au contraire, cette évocation qui montre l’homme fragile, seul, attachant, contradictoire, donc humain est l’occasion pour le réalisateur de présenter sa propre réflexion sur les interrogations de notre époque. En clair de passer tout cela dans le tamis de la fin de vie d’un homme bougrement complexe. Quoique l’on en pense, un homme d’exception qui a inspiré un Guédiguian enfin débarrassé de ses tics un peu fatigants à la longue et signant du coup son meilleur film.

 

Patrick Braganti

 

Film français – 1 h 57 – Sortie le 16 Février 2005

Avec Michel Bouquet, Jalil Lespert...

 

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