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                               S’il
                              fallait d’une phrase résumer Ne touchez pas
                              la hache, on pourrait parler d’un amour désynchronisé
                              entre deux stars. Bien sûr, pas de cinéma, mais
                              chacune dans leur domaine respectif : d’un
                              côté, le général bonapartiste Armand de
                              Montriveau célébré pour ses faits d’armes sur
                              le continent africain aux sources du Nil, de
                              l’autre la Duchesse Antoinette de Langeais, égérie
                              des salons parisiens dans lesquels elle évolue
                              avec aisance et frivolité. Dès leur première
                              rencontre, Montriveau tombe fou amoureux de la
                              Duchesse qui se refuse à lui sous des motifs
                              successifs et anodins : mari, religion… Ou
                              peut-être l’exotique militaire aux anecdotes si
                              exaltantes n’est-il qu’un dérivatif, un
                              amusement pour la jeune femme. Las d’être éconduit
                              et ridiculisé, Montriveau se retranche au moment
                              même où la Duchesse prend conscience – hélas,
                              trop tard, à force d’atermoiements et de
                              minauderies dilatoires - de son véritable amour,
                              dont l’issue inaboutie la conduira tout droit au
                              couvent. 
                               
                              
                               
                              C’est
                              le désir de monter un projet autour des deux comédiens
                              Jeanne Balibar et Guillaume Depardieu
                              qui est à l’origine de Ne touchez pas la
                              hache. Après une première ébauche avortée,
                              Rivette et ses scénaristes habituels Christine
                              Laurent et Pascal Bonitzer cherchent
                              dans la littérature classique un texte approprié
                              et trouvent La Duchesse de Langeais d’après
                              Balzac, second récit de l’histoire des Treize,
                              qui à l’intérieur de La Comédie Humaine,
                              fait partie de la série Scènes de la vie
                              parisienne. Ce choix marque ainsi la troisième
                              adaptation d’un texte de Balzac par Rivette :
                              Out 1 : Noli me tangere, film fleuve
                              et culte de plus de douze heures sorti en 1970 et La
                              Belle Noiseuse (1990), adaptation de la
                              nouvelle Le Chef-d’œuvre inconnu. Si les
                              deux premiers films sont très librement adaptés
                              en laissant une large part à l’improvisation
                              pour le premier et en agrémentant le second
                              d’une étude en profondeur des relations
                              artiste-modèle, Ne touchez pas la hache se
                              singularise par sa fidélité à l’esprit, mais
                              aussi à la lettre, du texte original, avec comme
                              objectif la transposition en langage cinématographique
                              de l’écriture balzacienne caractérisée par sa
                              subtilité en matière de construction et de
                              ruptures de style. L’appropriation n’était
                              ainsi pas acquise. Au vu du résultat – un film
                              épuré et centré sur deux personnages – on
                              confirme que l’objectif est totalement atteint. 
                               
                              
                               
                              Ne
                              touchez pas la hache offre également une
                              double lecture du décalage : temporel à
                              travers l’histoire d’amour ratée entre
                              Montriveau et la Duchesse ; et sociétal en
                              quelque sorte entre l’univers crépusculaire et
                              en bout de course que représente Antoinette et
                              celui en devenir, moderne et ouvert au monde, préfiguré
                              par l’esprit de conquête du général. Car il
                              faut ici rappeler le contexte exact où prend
                              place la rencontre des deux personnages : les
                              années 1820 marquées par la Restauration, et
                              avec elles le rétablissement d’une aristocratie
                              passablement décimée par la Révolution d’il y
                              a à peine trente ans. 1848 n’est plus très
                              loin, et l’époque est bien celle d’une fin de
                              période où la figure de la Duchesse dans son
                              refus de se donner et d’envisager un autre
                              horizon incarne l’inertie de sa caste qui finira
                              par provoquer sa perte. 
                               
                              
                               
                              Encadré
                              par deux phases introductive et finale hors les
                              murs et hors Paris, Ne touchez pas la hache
                              prend toute son ampleur dans sa partie centrale.
                              Le travail du directeur de la photographie William
                              Lubtchansky, déjà remarqué chez Rivette,
                              Garrel et Iosseliani, fait ici merveille :
                              l’éclairage des appartements, des boudoirs, des
                              salles de bal du faubourg Saint-Germain distille
                              une impression durable de crépuscule et
                              d’obscurité où seuls l’éclat des visages
                              ressort. Mais Ne touchez pas la hache ne
                              serait pas ce petit bijou ciselé s’il ne bénéficiait
                              de l’interprétation en état de grâce de ses
                              deux comédiens. On ne se faisait guère de doutes
                              sur la capacité de Jeanne Balibar à
                              endosser le rôle d’une coquette rompue à
                              l’art de la séduction et de la parole,
                              consciente tardivement de son inconséquence et de
                              sa perte. Plus surprenant, Guillaume Depardieu
                              monolithique et déterminé trouve là son
                              meilleur rôle et ce n’est pas lui faire injure
                              d’avouer que l’on pense à plusieurs reprises
                              au jeu de son père Gérard. 
                               
                              
                               
                              Le
                              vieux jeune homme Jacques Rivette nous
                              livre probablement un de ses films les plus
                              accessibles. C’est donc l’occasion rêvée
                              pour le (re)découvrir. Toujours exigeant et
                              revisitant la culture classique en l’inscrivant
                              dans la plus jouissive contemporanéité, le cinéaste
                              de Va savoir poursuit son aventure au cinéma
                              de manière vibrante et inventive. 
                               
                              
                               
                              Patrick
                              Braganti 
                               
                              
                               
                              Drame
                              français – 2 h 17 – Sortie le 28 Mars 2007
                              
                               
                              Avec
                              Jeanne Balibar, Guillaume Depardieu, Bulle Ogier,
                              Michel Piccoli 
                                
                                
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