cinéma

Norway of life de Jens Lien

[4.0]

 

 

Une société aseptisée dans laquelle chacun se satisfait de son sort, se montre sympa à l’égard des autres, disposé à satisfaire ses envies et à contribuer à son bonheur pourrait être la société idéale de demain. Idéale, rien n’est moins sûr, et en tout cas pas pour Andréas parachuté d’on ne sait où dans une ville étrange, où on lui octroie un emploi de comptable en charge de saisir des chiffres sur ordinateur au milieu de collègues pleins de sollicitude et de jolies filles très réceptives à ses avances. Avant d’être conduit dans ce paradis très artificiel, Andréas passe par une zone désertique, paysage grandiose de cendres enlaidi par une vieille station-service, espèce de conciergerie sésame pour pénétrer dans le pays du bonheur permanent.

 

Pourtant, la mécanique bien huilée semble connaître quelques ratés : un homme empalé sur une grille, sans doute suicidé, sans que sa présence vite effacée affecte la vie de la ville ; l’absence de goût des aliments et celle de l’effet de l’alcool. Pire, lorsque Andréas s’ampute volontairement de son doigt sous le massicot, il récupère sa main intacte en ôtant son pansement et son entourage ne paraît éprouver aucun sentiment pour ses déboires ni montrer la moindre volonté. Seules les préoccupations esthétiques de la décoration intérieure de leurs appartements sont à l’ordre du jour des conversations des collègues d’Andréas, ravis d’une vie impersonnelle où l’on n’entend jamais un cri ou un rire d’enfant. Andréas rencontre Hugo, terré dans un taudis souterrain et ils échafaudent ensemble des projets d’évasion.

 

Auréolé du Grand Prix du dernier festival du film fantastique de Gérardmer, Norway of life renouvelle les codes du genre en ne présentant que très peu de scènes gore (image fugitive du suicidé et mutilation d’Andréas). L’effroi ressenti provient dès lors du climat absolument terrifiant qui règne dans la ville. Terrifiant parce que la vie désincarnée et déshumanisée y est synonyme de vacuité, de vide absolu à l’image des échanges creux d’Andréas et de ses collègues. Le réalisateur utilise une palette de tons pâles et gris, des décors urbains froids où le verre et l’acier sont omniprésents pour dépeindre une ville apparemment calme, placée sous contrôle de patrouilles chargées de remettre le rebelle dans le droit chemin et de réparer ses errements, au propre comme au figuré.

Cette ville factice, trop parfaite n’est pas sans rappeler celle où habitait Truman Burbank, le héros manipulé de The Truman Show. D’autre part, le décervelage d’une population promise à une sérénité inauthentique, donc conditionnée et heureuse de l’être, trouve bien sûr des points d’ancrage avec celle imaginée par George Orwell, chantre de la dénonciation du totalitarisme dans ses romans d’anticipation

 

On n’est pas obligés d’attribuer une dimension politique à Norway of life, par ailleurs très croustillant dans sa subtile diatribe contre un certain modèle scandinave. Il est aisé de comprendre qui est visé à travers tous les intérieurs standardisés et proprets, érigés en nouveau « way of life ». Et lorsque Andréas est remercié par son patron, on lui vante la nécessité du changement et de l’adaptation. C’est sans doute sa scène la plus improbable et la plus burlesque – Andréas broyé par une ribambelle de métros – qui qualifie le mieux cet étrange film, qui, dans sa partie hors ville et hors studio, bénéficie d’un décor naturel magnifique, installant de lui-même une impression malsaine.

Dernière référence, et pas des moindres, l’univers kafkaïen n’est jamais très loin. C’est là le meilleur compliment à adresser à Norway of life, film intrigant et décalé se jouant avec jubilation d’un monde si absurde et lénifiant qu’il en devient proprement angoissant.

 

Patrick Braganti

 

Drame fantastique norvégien – 1 h 35 – Sortie le 28 Mars 2007

Avec Trond Fausa Aurvag, Petronella Barker, Per Schaaning