cinéma

Oublier Cheyenne de Valérie Minetto

[4.0]

 

 

La relation amoureuse de Sonia, prof de chimie et de Cheyenne, journaliste, a été la victime d’une fusion ; non pas celle entre elles deux, ce qui serait étrangement paradoxal, mais entre la boîte de Cheyenne et une autre du côté de Singapour. Ce qui lui a coûté sa place et depuis Cheyenne, têtue et entière, en lutte contre la société de consommation, touche le fond, sans argent. Sonia, refusant la marginalité et s’accomplissant dans son métier de prof, a préféré quitter Cheyenne, laquelle a tout plaqué pour aller rejoindre Edith, dans sa caravane de fortune, coupée du monde et de ses contraintes. Malgré une double rencontre avec d’une part Béatrice, volontariste et franchement matérialiste, et avec d’autre part Pierre jeune homme en quête d’amour e d’idéal, Sonia ne parvient pas à oublier Cheyenne qu’elle rejoint en Bourgogne.

 

Tout d’abord évacuons l’homosexualité féminine du film. Comme dans Brokeback Mountain, le fait d’avoir affaire à deux êtres de même sexe est totalement anecdotique, et donc ni une cause à défendre, ni une singularité à revendiquer. Ici pas le moindre problème à assumer qui on est, pas de culpabilité à sortir dans un bar un soir de cafard pour y combler quelques heures de solitude (Béatrice).

Les problèmes auxquels sont confrontés Cheyenne, et par ricochet Sonia, sont autrement plus concrets : laminée par la cruauté économique et sociale, l’orgueilleuse Cheyenne refuse toute aide de Sonia et n’a plus les moyens de demeurer à Paris. L’amour peut-il avoir raison de telles difficultés, et accessoirement d’une telle différence de points de vue sur la société et la manière de mener sa vie ? Le dénuement choisi et assumé avec bravade par Cheyenne peut-il trouver un écho dans la vie confortable de Sonia, par ailleurs empreinte de doutes et pétrie de contradictions ?

Dans son premier tiers, la forme narrative du film est assez bizarre, presque déroutante. Les personnages s’invitent un peu partout - Pierre dans la chambre de Sonia et Béatrice, par exemple – et s’adressent directement au spectateur en une incarnation de leur inconscient. C’est aussi une volonté de la réalisatrice de traiter avec légèreté, sur le ton de la comédie, un sujet grave et rebutant.

Ensuite on passe à une structure plus classique, surtout quand le film remet en présence Cheyenne et Sonia que l’on n’a jamais vues ensemble pendant la première partie. Dès lors, leur réunion et l’intensité qui s’en dégage rend caduc un procédé narratif travaillant sur l’onirisme et la télépathie.

 

A l’image des professions de Sonia et de Cheyenne, en lien direct avec le monde, où la notion d’engagement est déterminante et son retrait le fruit d’une longue démarche personnelle, Oublier Cheyenne, qui ne se veut pas intrinsèquement militant, s’inscrit néanmoins dans le réel et prend pied dans le contemporain. En plaçant ses cinq personnages principaux sur une même ligne qui va de l’acceptation du système à son rejet total, Valérie Minetto réussit à présenter des points de vue différents – chacun étant engagé à sa manière tant sur le plan idéologique qu’affectif. En cela, l’histoire d’amour se double d’un regard politique.

 

Très largement inspiré des propres expériences de la réalisatrice, Oublier Cheyenne est un premier long métrage personnel et prometteur, dont le titre et les morceaux de guitare sèche sont un joli clin d’œil au western et notamment à Johnny Guitar de Nicholas Ray. En dépit de la dureté affichée de l’époque, Valérie Minetto en concluant par les retrouvailles de ses deux héroïnes parie aussi sur le triomphe et la force de l’amour, permettant épanouissement et générosité.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique française – 1 h 30 – Sortie le 22 Mars 2006

Avec Mila Dekker, Aurélia Petit, Laurence Côte

 

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