cinéma

Pavee Lackeen, la fille du voyage de Perry Ogden

[3.0]

 

 

Il existe en Irlande une minorité indigène nommée les Irish Travellers. Ils possèdent un système de valeurs, une langue, des coutumes et des traditions qui en font une communauté rapidement identifiable, à l’image des Roms d’Europe centrale. Régis par des modes de vie et une culture fondées sur des siècles de tradition nomade, les Irish Travellers ont été rejetés aux marges de la société irlandaise dite sédentarisée. Sans cesse relégués, ils continuent même aujourd’hui à être marginalisés et sont amenés à changer continuellement d’endroits, vivant le plus souvent dans des caravanes au bord des routes, sans accès à un confort minimal, privés d’eau courante, de toilettes et d’électricité.

 

Le premier long-métrage de Perry Ogden, aux frontières du documentaire, prend comme sujet principal la famille Maughan, des Irish Travellers, une mère et ses dix enfants, parmi eux la toute jeune Winnie autour de laquelle le film s’articule. Le projet de Pavee Lackeen est né de la même manière que celui, voici quelques semaines, conduit par Larry Clark pour Wassup Rockers, soit par une série de photographes publiées dans un livre dont l’audience a motivé leur auteur à poursuivre la démarche en basculant vers le cinéma. Là s’arrête la ressemblance : les sujets sont bien sûr assez éloignés.

Exclue de l’école après une bagarre – c’est d’ailleurs la quatrième en une semaine -, Winnie déambule dans la ville tout en continuant à assurer la survie des siens : chercher de l’eau, investir au sens physique du terme les containers de vieux vêtements pour y trouver de quoi s’habiller, chercher un nouveau lieu d’habitation puisque les Maughan sont menacés d’expulsion. Ils seront en fait assignés sur un autre terrain à peine distant de deux cent mètres, mais hors de la circonscription municipale.

Winnie a onze ans, elle n’est encore qu’une gamine tour à tour boudeuse et espiègle, douce et déjà abîmée par ses conditions de vie, attirée par les lumières de la ville : les vitrines décorées de belles robes de mariée, une salle de jeux vidéo où elle reproduit les pas d’un danseur virtuel, quelques boutiques exotiques. Sa mère, soucieuse de l’éducation de ses enfants qu’elle voudrait voir intégrer une scolarité normale, est visitée par des assistantes sociales conciliantes, mais peu efficaces.

 

Pavee Lackeen se présente comme une succession de vignettes de la vie quotidienne de Winnie. Sans misérabilisme mais aussi sans désir d’en atténuer la brutalité qui amène à nier l’enfance d’une petite fille. En choisissant d’inscrire son film dans le réalisme social, Perry Ogden trouve logiquement sa place aux côtés de son compatriote Ken Loach et des frères Dardenne, dont la Rosetta pourrait bien être la grande sœur de Winnie. L’exclusion ne connaissant pas de frontières, répétant à l’infini les mêmes stigmates et causant les mêmes dégâts.

A l’heure où l’Irlande est montrée comme une des grandes réussites actuelles de l’Europe, Pavee Lackeen vient aussi nous rappeler que chaque médaille connaît son revers, en nous faisant pénétrer de plain pied dans la vie des Maughan.

 

Patrick Braganti

 

Drame irlandais – 1 h 27 – Sortie le 3 Mai 2006

Avec Winnie Maughan, Rose Maughan, Michael Collins, Helen Joyce