cinéma

Red Road de Andrea Arnold

[3.0]

 

 

Dans un Glasgow quadrillé de caméras, Jackie travaille comme opératrice de vidéosurveillance. Face à son mur d’écrans, elle observe tour à tour avec tendresse et sagacité, avec froide efficacité et sens à l’affût, le comportement de ses concitoyens en vue de prévenir les actes délinquants en tous genres et de solliciter l’intervention de la police dans les meilleurs délais. Voyeuse professionnelle d’un quartier glauque que balayent des vents violents charriant quantité de papiers gras et de détritus au milieu de tours insalubres, Jackie fait de chaque spectateur un voyeur observant avec la même curiosité tel homme promenant son chien, vieux et obèse, telle femme de ménage dansant casque sur les oreilles, tel couple faisant l’amour à la sauvette le long d’un mur. Soudain, en zoomant sur cette scène chaude et fugace, Jackie pense reconnaître un homme qui serait à l’origine de ses problèmes, de son mal-être actuel. Car c’est indéniable : Jackie, qui vit seule et se déclare volontiers peu sociable, n’a pas l’air d’aller très bien. L’invitation de sa belle-sœur à son mariage livre un début de piste sur une vie antérieure, aujourd’hui saccagée.

 

Comme Red Road est aussi un thriller qui ne se résout réellement qu’à la fin, malgré les éléments amenés petit à petit, il ne sera pas possible d’en dévoiler davantage. Red Road, qui a remporté le Prix du Jury au dernier festival de Cannes, premier film d’une réalisatrice réputée de courts métrages, présente bien des défauts, mais est loin de laisser indifférent du fait même de ses partis pris de mise en scène, de l’âpreté de son sujet et de son interprétation convaincante.

Il faut d’abord se familiariser avec une image saturée et excessivement mobile (celle surtout vue à travers les écrans de contrôle scrutés par Jackie), avec une caméra collant au plus près de ses personnages, ne leur accordant aucun répit, aucune distance. Cela crée sûrement une tension progressive, mettant mal à l’aise un spectateur ballotté au propre comme au figuré. Red Road est à ce point de vue éprouvant, comme l’avait été Keane l’année passée, avec lequel il a au moins en commun de se situer dans un environnement sordide, quartier dévasté et miséreux, et d’être investi de personnages dépressifs, rongés par la culpabilité, cherchant à se maintenir debout. En cela, Jackie est plutôt complexe et surprenante, passant par toute une palette de sentiments. Clyde, l’homme qu’elle a identifié, lui inspire aussi bien de l’attirance physique que de la répulsion. Ainsi a t-elle autant envie de meurtre que de sexe, dans une recherche presque masochiste de plaisirs et de douleurs.

 

Noir et sulfureux, Red Road est aussi le portrait réussi d’une femme brisée, enfermée dans sa douleur. C’est également un film imparfait et oppressant dont on regrettera quelques longueurs dilatoires, mais qui finit sous son aspect rugueux et mal aimable par dégager intensité et émotion. Il restera à Andrea Arnold de confirmer un talent singulier et en devenir.

 

Patrick Braganti

 

Drame britannique – 1 h 53 – Sortie le 6 Décembre 2006

Avec Kate Dickie, Nathalie Press, Andrew Armour

 

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Site du film : www.redroad-lefilm.com