cinéma

The Road to Guantanamo de Michael Winterbottom et Mat Whitecross

[4.0]

 

 

Les circonstances et le contexte qui conduisent quatre bons potes de Tipton (Angleterre) à Guantanamo (Cuba) en passant par le Pakistan et l’Afghanistan sont proprement inouïs et insensés, à peine croyables. Pourtant, les bases qui ont servi à édifier ce troublant docu-fiction sont on ne peut plus vraies. Shafiq, Ruhel, Monir et Asif, quatre adolescents d’origine pakistanaise intégrés à la société anglaise, partent en octobre 2001 pour le Pakistan afin d’y célébrer le mariage du dernier. Plus motivés par l’aspect aventureux que par le retour aux origines et leur rapport à ce monde en mutation, les quatre copains tout excités sautent sur l’occasion offerte de pouvoir se rendre en Afghanistan, où les bombardements américains ont démarré – nous sommes en effet quelques semaines après les attentats du 11 Septembre. Embarqués dans un minibus qu’ils pensent les ramener au Pakistan, ils se retrouvent au milieu des zones de combat. Alors qu’ils ont perdu de vue Monir, les trois restants sont fait prisonniers. Leur jeune âge, leur origine et leurs antécédents judiciaires non exempts de quelques incartades suscitent la suspicion de leurs geôliers qui voient en eux des combattants supposés d’al-Qaida et finissent par les transférer à la tristement célèbre prison de Guantanamo, dont ils ne ressortiront qu’au bout de deux ans. Sans autre forme de justification ni réparation des outrages subis.

 

Il s’agit donc d’une histoire vraie dont l’ancrage dans le réel est ici marqué par les interviews des trois rescapés – nul ne sachant ce que Monir est devenu – qui jalonnent la reconstitution de leur histoire kafkaïenne qui divise elle-même le film en deux grandes parties : le voyage et l’emprisonnement. La première nous convainc davantage par sa réalisation énergique, qui la transforme en un road-movie haletant sur les pistes surchauffées du Pakistan, puis de l’Afghanistan dans des bus bringuebalants et bondés. Comme il l’avait déjà fait pour In this world (2003), le réalisateur capte l’agitation, l’urgence et la folie ambiants dans une promiscuité fourmillante – comme dans la scène du passage de frontière entre les deux pays asiatiques. La seconde partie, l’incarcération à Guantanamo, est logiquement plus statique et difficilement supportable : maltraitances et brimades à répétition, anéantissement psychologique des prisonniers par l’humiliation et la négation même de leur statut humain. La charge est lourde, sans nuances, confinant au pamphlétaire. On a ainsi reproché à Winterbottom son univocité et ses partis pris, mais il faut aussi avoir à l’esprit que le film relaie les témoignages des trois jeunes Anglais, dont il adopte l’entière version sans la discuter ni la contre-balancer.

 

Compte tenu des interrogations scandalisées au sujet des conditions d’emprisonnement à Guantanamo – devenu zone de non-droit échappant au respect des règlements internationaux -, on ne peut nier l’authenticité de ce que The Road to Guantanamo nous montre : les terribles conséquences de la paranoïa effrénée de l’Amérique, en passe de voir des terroristes potentiels derrière n’importe quel homme au seul motif de ne pas être à la place – géographique, politique ou fonctionnelle - qu’il devrait occuper. Cet ostracisme systématique doublé des pires traitements réservés aux victimes qui rappellent les heures les plus tragiques de l’histoire récente constitue le pivot central du film, remarquable à montrer une réalité accablante, notamment grâce à la formidable interprétation des comédiens tous amateurs.

 

Et l’on comprend d’autant moins l’approche chichiteuse de certains critiques : oui, ces jeunes n’étaient pas des héros, plutôt des glandeurs avides d’exotisme à moindre frais. La rencontre entre la petite et la grande (Histoire) les a métamorphosés, mûris et forgés. Qu’on les retrouve quelque temps après leur libération au Pakistan laisse songeur quant à l’éventuel « bienfait » du séjour cubain…

 

Patrick Braganti

 

Drame britannique – 1 h 35 – Sortie le 7 Juin 2006

Avec Riz Ahmed, Farhad Harun, Arfan Usman, Waqar Siddiqui