cinéma

Romanzo Criminale de Michele Placido

[4.0]

 

 

Voici une nouvelle réjouissante : l’ébauche d’un début de réveil du cinéma italien, qu’on savait aux abonnés absents depuis plusieurs décennies. Tragique désertion si l’on tient compte, surtout, de l’apport historique décisif des films transalpins au regard d’un siècle de cinéma. Qu’une Europe sans complexe s’assume enfin en pleine lumière et s’empare librement de sa propre Histoire pour en tisser les fils secrets, en inventer d’autres mythologies, n’est pas anodin. Car le temps est peut-être venu pour entreprendre à nouveau, de ce côté-ci de l’atlantique, un cinéma riche et varié, inventif, populaire et exigeant. Non pas qu’il faille couper les ponts d’avec le fameux Hollywood (on a d’ailleurs encore récemment offert des facilités de tournage versaillais à la Sofia Coppola, pressée de dresser un portrait – on craint le pire : voir la bande-annonce clippesque en diable - de Marie-Antoinette, l’autrichienne de France), il s’agirait plutôt de réouvrir la boîte à inventions européenne, capable – on l’a vu - de rivaliser et de contrer (sur le plan esthétique donc, tôt ou tard, économique) un cinéma américain plus guère en mesure de renouveler sa vision excessivement stéréotypée du monde–salle de jeux (ce qui peut éventuellement se pardonner dans le cadre réduit des séries télévisées mais que l’exigence plus haute du cinéma interdit).

 

A cet égard, Romanzo Criminale fait souffler un air bienvenu. Pas question ici d’invoquer la résurrection ou la réinvention des audaces formelles de grands maîtres disparus – le projet n’est pas là. Par son affirmation calme et maîtrisée,  sa capacité à embrasser une matière vaste et complexe, à la fois réelle et imaginaire, le film de Michele Placido parvient cependant, et presque de bout en bout (un dernier quart d’heure boitillant), à tenir sa (bonne) vitesse de croisière, mélange d’efficacité et de souci du détail. Confronté à une très lourde densité de personnages, plus ou moins principaux, plus ou moins secondaires, le récit sait allier avec aisance l’intime (les scènes d’amour notamment) et le général (la trajectoire forcément pipée d’un groupe de jeunes gens aventureux dans leur conquête de Rome). Sans étinceler par son génie du style, Placido déploie sa caméra dans une optique un peu fourre-tout, sautant d’une référence (le Scorsese des Affranchis saute aux yeux) à une autre (clins d’œil à Leone) et une autre encore (le polar seventies) sans vraiment adhérer à aucune, désarçonnant dans un premier réflexe, laissant poindre la crainte d’un éparpillement étranger au minimum de cohérence attendu.

 

Or la surprise est bien là : car de cet amas explosif (sans mauvais jeu de mot) surgissent pourtant des dénivellations hors les voies d’usage. Gloire donc à la mise en scène efficace d’un scénario précis, celui qui autorise, bien qu’évoluant au cœur d’un maelström global, chacun des personnages à revendiquer sa part de singularité, laquelle se laisse saisir sous des angles renouvelés - autant d’espaces livrés à des figures complexes : le flic Scialoia droit et flou, l’ambitieux Dandy comme un poisson dans l’eau poisseuse de l’Italie des années de plomb, le romanesque Libanais jouant sa vie comme un empereur romain, Freddo sensible et désintéressé, la sensuelle Patrizia (« Tous les hommes me désirent ») jouant sur le fil de la vie à la mort selon l’exemple des grandes tragédiennes. Intelligence d’abord d’un casting à la hauteur des enjeux et boostant dans l’incarnation ce qu’aucun scénario ne sait prévoir : les ritals charismatiques Kim Rossi Stuart, Pierfrancesco Favino ou Claudio Santamaria et la plus familière francese Anna Mouglalis (quelle comédienne française peut sérieusement rivaliser ?). L’enrobage soigné ensuite (Rome filmé sans afféteries superflues, les décors souvent très beaux) participe de cette réussite générale autant que l’entremêlement classique mais efficace d’images d’archives plongeant avec un naturel saisissant le spectateur au cœur de cette Italie en crise.

 

Malgré quelques faiblesses (raccourcis parfois brusques), nul doute que ce beau film, catégorie Blockbuster plutôt qu’art et essai, parvient à atteindre sa cible avec une efficacité qui fait de plus en plus défaut à Hollywood (d’où le recours récurrent, en matière d’action movies, aux joyaux asiatiques). Cette déferlante violente de jeunes affamés quittant la rue pour conquérir Rome peut d’ailleurs se laisser lire comme une métaphore séduisante du projet porté par le film : frapper de son indéniable réussite pour se faire une place au soleil. Et qu’importe les risques, on connaît tous la fin.

 

Christophe Malléjac

 

Film italien – 2 H 28 – Sortie le 22 mars 2006

Avec Anna Mouglalis, Kim Rossi Stuart, Pierfrancesco Favino

 

> Réagir sur le forum cinéma