cinéma

Shanghai dreams de Wang Xiasoshuai

[3.5]

 

 

Au début des années 80, le gouvernement chinois craignant un conflit avec l’Union Soviétique avait exilé à l’intérieur du pays les usines les plus importantes stratégiquement afin de former une « troisième ligne de défense ». Des familles complètes durent ainsi quitter les villes dont Shanghai, pour une campagne reculée et hostile. Le déracinement ainsi provoqué fit naître dans le même temps l’espoir de quitter ces lieux perçus comme une punition et de retrouver l’activité florissante des grands centres urbains. Ou comment Shanghai, Eldorado à atteindre, concentre toutes les espérances des familles, enfin surtout celles des parents car les enfants qui n’ont pas connu le paradis des villes grandissent dans cette campagne reculée et connaissent leurs premiers émois adolescents.

 

Shanghai dreams se déroule dans la région de Guizhou où Lao Wu et les siens ont été relégués comme tant d’autres. D’ailleurs au sein de la petite bourgade pluvieuse et boueuse défigurée par une forêt d’immeubles hideux règne la solidarité entre tous les bannis. Au moindre problème débarquent les amis pour calmer et tenter de trouver des solutions et les réunions autour de la radio américaine relatant les prémices de la libéralisation en cours achèvent de souder les chefs des foyers tous désireux de quitter le plus vite possible les lieux.

Si la femme de Lao Wu baisse le plus souvent l’échine face au mauvais caractère et aux crises d’autorité de son mari et si leur garçon est encore trop jeune pour être réellement impliqué, leur fille, Qing Hong, écolière de dix-neuf ans, se montre beaucoup plus rétive à la domination paternelle. L’adolescente aimerait sans doute développer une relation avec le jeune ouvrier qui la courtise de loin et être un peu plus libre histoire de prendre du bon temps en compagnie de sa meilleure copine, la délicieuse Zhen Zhen dont les parents, par ailleurs les amis les plus proches de ceux de Qing Hong, font preuve de davantage de largesse d’esprit.

 

Film largement autobiographique, Shanghai dreams à l’abord un tantinet âpre déroule des instants de la vie de cette tribu de déracinés, en passant de la légèreté et la drôlerie au drame et au tragique. Le rythme volontairement lent n’instille aucun ennui et le cinéaste opte pour l’installation de longues scènes, comme celle désopilante de la boum clandestine où le John Travolta local, roi du dancefloor shooté à Boney M, emballe Zhen Zhen, ou comme celle intense des bains publics où Lao Wu se fait le soi-disant porte-parole de l’intention de rupture de sa fille vis-à-vis du jeune ouvrier.

Justement récompensé du Prix du Jury au festival de Cannes 2005, Shanghai dreams séduit par sa mise en scène précise et classique qui mêle le sentimental au social, conflits générationnels à destin de classe. Centré sur quelques rues et quelques habitations de cette lointaine ville avec laquelle on finit par être très familiarisé, Shanghai dreams démontre une fois encore la capacité des réalisateurs asiatiques à raconter avec maîtrise des belles histoires où la subtilité le dispute à la grâce, ici illustrée entre autres par la qualité de l’interprétation et une superbe lumière qui irrigue ce beau film, romanesque et mélancolique en diable.

 

Patrick Braganti

 

Drame chinois – 1 h 59 – Sortie le 15 Mars 2006

 

Avec Gao Yuanyuan, Yao Anlian, Li Bin

 

 

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