cinéma

Syndromes and a Century de Apichatpong Weerasethakul

[4.5]

 

 

Depuis maintenant trois films, Apichatpong Weerasethakul traîne une obsession : la maladie, la guérison.  Blissfully Yours contait les vertues curatives d’une femme se donnant aux souffrances de son amant. Tropical Malady voit un homme muter en un fauve désespéré. Syndromes and a century complète ces films, par l’univers médical qu’il dessine devant nous. Incubée depuis son enfance thaïlandaise, sa fascination des maux apaisés accouche d’une famille de médecin. Weerasethakul nous narre ses souvenirs à l’écran comme autant de baumes vifs et anesthésiants. (« Syndromes and a Century est une contribution au festival New Crowned Hope, un projet qui vise à explorer la manière dont nous nous souvenons et comment notre corde sensible peut être touchée par des choses insignifiantes ».[1])

Pourtant, ces trois films précités ne parlent que d’amour… Contagieux, fiévreux, ces sentiments, dans Syndromes, traversent l’écran pour nous engourdir d’une grippe cotonneuse à la fois tranquille et angoissante. En effet le film se plie en deux, mariant deux histoires en miroir, comme deux âme sœurs, l’une guérie, l’autre malade. Ces deux parties affichent la ressemblance : dialogues répétées, scènes rejouées, rencontres amoureuses…mais dans une « dimension » parallèle. Est ce une réinterprétation d’un même point de départ à la manière de Queneau et de ses exercices de style ? Une situation posée dans un autre contexte, un autre temps ? Les deux ?

 

Dans ce premier temps, un hôpital provincial baigné dans la nature moite accueille des bonzes, des militaires, des chanteurs, des médecins qui vont se découvrir et se rencontrer multipliant les petites histoires, les pistes amoureuses se recouvrant l’une et l’autre de souvenirs. Puis, le film se fend d’un blanc cassé pour nous transporter dans ce second temps : l’hôpital est impersonnel et aseptisé, emplâtré dans un bruit sourd, claustrophobe de boules Quies. Dans ce monde modernisé, les mêmes acteurs semblent réinterpréter leurs rôles, mais orienté vers d’autres choix, d’autres rencontres. Or, il serait facile d’opposer nature et ville, tradition et modernité tant ces deux visions sont parallèles. Mais, le film ne mesure en rien un détachement des affections entre ces personnes, c’est juste différent. Le réalisateur thaïlandais aime la contagion au point de soumettre cette deuxième partie à cette fébrilité de mise en scène, comme si la bande filmique tomber amoureuse de ce qu’elle projetait, ce qu’elle regardait, de ce qu’elle désirait. Weerasethakul adore attendre cette contagion amoureuse, celle qu’il a décrit dans la première partie, celle qui a enfin rendu fiévreux son film. Et nous, spectateurs, nous sommes pris dans cet engourdissement dont on ne voudrait pas guérir.  Weerasethakul a donc prolongé le destin familial (la médecine) pour distiller ces plus beaux sérums cinématographiques.  

 

Les plans fixes, et les quelques panoramiques subliment le film d’une retenue singulière. Ce cinéaste maintient une distance, presque réglementaire, entre ce qu’il filme, les corps en général et cette caméra discrète. Elle laisse les personnages en quarantaine, s’effaçant devant la transmission affective des personnages. A l’instar de Wong Kar Waï, cette caméra semble ne jamais interférer avec les protagonistes, toujours à la dérobée, derrière une porte, une branche, loin de l’action. Et, lorsque celle-ci pénètre l’espace défendu, elle semble être refoulé par les acteurs, comme dans la scène avec les docteurs prothésistes, et ce regard caméra insistant d’une dame âgée, matrone protectrice du lieu. Cette retenue confine Syndromes and a century une beauté timide, celle qu’on aimerait pouvoir étreindre s’il n’y avait pas cette barrière, cette barrière qui nous empêche de plonger dans le bonheur irradié d’un film-pommade.

 

Apichatpong Weerasethakul réalise un film onirique habité par le souvenir. Cette rêverie distanciée nous appelle lentement vers les plus confortables égarements d’une fièvre qui petit à petit fait frissonner le film. Tel un vaccin, ce film contient le virus et son remède. Apichatpong le sorcier nous fait la piqûre. Nous attendons le rappel avec ardeur.    

 

Maxime Cazin

 

Comédie dramatique thaïlandaise – 1 h 45 – Sortie le 13 Juin 2007

Avec Arkanae Cherkam, Nantarat Sawaddikul, Jaruchai Iamaram

 

Plus+

www.kickthemachine.com/works/Syndromes.html 

 

(1)Cf : Allocine