cinéma

Transamerica de Duncan Tucker

[5.0]

 

 

Pour Bree, le plus beau jour de sa vie approche : après des années de traitement hormonal, elle projette de se rendre à Los Angeles pour l’opération finale et décisive qui jettera aux oubliettes son passé quand elle était encore Stanley. Pour l’heure, toute frétillante dans son nouveau cardigan rose pimpant, Bree met les bouchées doubles : serveuse dans un restaurant mexicain, placeuse de contrats par téléphone, elle doit réunir l’argent pour financer voyage et intervention. C’est d’ailleurs le téléphone qui l’informe de l’existence de Toby, un jeune homme de dix-neuf ans, en prison à New York pour détention de drogue, à la recherche de son père, un certain… Stanley. Comme elle ne parvient pas à convaincre sa psychothérapeute qu’il s’agit d’une erreur de jeunesse, au temps où elle était encore un garçon, dont elle s’occupera à son retour, Bree part à New York récupérer l’inattendu rejeton auprès de qui elle se présente comme missionnaire religieuse. Bien décidée à rejoindre au plus vite la côte ouest, elle embarque Toby, espérant le larguer vite fait entre de bonnes et charitables mains.

Bien sûr, rien ne se passe comme prévu, sans quoi Transamerica – titre au double sens de circonstance – n’existerait pas. Bree va donc traîner avec elle Toby, ex-tapin aux tendances homos, d’est en ouest, de motels en couchages à la belle étoile, jusqu’à la famille bourgeoise et conservatrice de Bree, avant de parvenir à Los Angeles, terme du voyage pour le duo.

 

A partir d’une intrigue prévisible, s’appropriant le genre galvaudé du road movie – mais il est vrai que l’Amérique semble avoir été créée pour l’épanouissement de ce cinéma-là – Duncan Tucker, dont c’est le premier long-métrage, réussit l’exploit de ne jamais sombrer dans la vulgarité ou la gaudriole. Il rend Bree fondamentalement humaine et déterminée à mener son projet à bien, vaille que vaille. La question innocente d’une petite fille dans un restaurant sur son identité sexuelle met soudain en relief la fragilité de Bree. Confrontée à d’innombrables problèmes pratiques – évaporation des économies, vol de la voiture et avec elle des hormones, vessie capricieuse -, Bree multiplie les stratagèmes pour ne pas être démasquée, même si son comportement est déjà celui du parent éducateur. Ainsi elle surveille Toby dans sa consommation de joints et d’alcool, dans ses postures à table. Tout ceci est mené tambour battant sur les routes désertes et chauffées à blanc du sud américain.

Les choses perdent néanmoins de leur légèreté lorsque Bree, sans voiture et sans médicaments, mais toujours avec Toby, n’a plus d’autre choix que de faire étape chez sa famille. On craint d’abord le pire au regard du tableau caricatural et haut en couleurs que Duncan Tucker brosse de cette famille normative à souhait. Mais là aussi, le cinéaste ne juge pas et offre sa chance à tout le monde sans faire dans la guimauve ni le mielleux.

 

Transamerica n’est donc pas seulement un film sur le parcours d’une transsexuelle, c’est aussi une brillante comédie humaine qui réfléchit sur le poids de la famille et de la filiation. L’énorme plaisir pris à voir Transamerica, qui n’est pas sans rappeler celui éprouvé l’an passé avec Sideways, doit aussi beaucoup à la qualité de son interprétation. Héroïne de la série télé culte Desesperate Housewives, Felicity Huffman touche à la perfection dans sa capacité à faire passer l’ambivalence de son personnage, femme au plus profond d’elle-même en lutte intime avec quelques restes de masculinité corporelle. Le jeune Kevin Zegers, loin d’être joli et lisse, n’est pas en reste et joue à jeu égal.

Ne rompant jamais avec son charme insidieux et son ton joliment subversif, ne se départant jamais d’un humour mordant, Transamerica nous balade avec ravissement entre divertissement et émotion.

 

Patrick Braganti

 

Comédie dramatique américaine – 1 h 43 – Sortie le 26 Avril 2006

Avec Felicity Huffman, Kevin Zegers, Fionnula Flanagan