cinéma

What a wonderful world de Faouzi Bensaïdi

[3.0]

 

 

Tous ceux qui ont aimé Intervention Divine du palestinien Elia Suleiman en 2002 devraient aisément retrouver leurs marques dans le second film du marocain Faouzi Bensaîdi tant les univers, où l’absurde et le décalé viennent illustrer la suspension temporelle, des deux cinéastes sont proches. Donc, esprits cartésiens s’abstenir pour pouvoir pénétrer What a wonderful world, tour à tour agaçant et captivant, passant à sa propre moulinette des références cinématographiques aussi variées que digérées.

 

Ce n’est sans doute pas par hasard que What a wonderful world prend place à Casablanca, ville sur l’Atlantique, vigie lorgnant vers l’Europe proche et séduisante, enfin cité paradoxale, partagée entre archaïsme, traditions et modernité. Perché sur le toit d’un hôtel de la ville, Kamel est un énigmatique tueur à gages, solitaire et flegmatique, qui tombe amoureux de la voix de la copine d’une prostituée dont il s’offre les services après chaque affaire conclue. Une quête s’engage donc entre Kamel et Kenza, la voix, qui est aussi agent de la circulation. A côté de ce duo principal viennent se greffer des histoires satellitaires.

 

What a wonderful world ne peut en aucune manière se circonscrire à son histoire. Il est avant tout un film de climat et d’ambiance auquel la trame narrative sert juste de colonne vertébrale ou de prétexte. Faouzi Bensaîdi, sorte de Buster Keaton maghrébin, déconcerte par la singularité de sa mise en scène et les formes utilisées, ce qui en fait un cas à part dans un cinéma méditerranéen habituellement plus balisé et convenu. Le jeu du chat et de la souris n’est au fond qu’une excuse pour le réalisateur à une plus globale et plus ambitieuse déclaration d’amour à tout le cinéma qu’il affectionne. Ses maîtres sont nombreux et leur ombre tutélaire finit par peser sur un film à qui l’on reprochera de ne pas forcément exister pour et par lui-même. Outre l’influence évidente de Suleiman et du burlesque américain, on pense aussi à Tati (chorégraphies dans la ville), Kitano et Melville (violence et apathie apparente dans le milieu des truands). Ici ce qui convainc et enchante, c’est le talent de Faouzi Bensaïdi – qui interprète par ailleurs le rôle de Kamel – à mettre en scène une multitudes de corps ou d’objets dans un cadre déterminé. Ainsi, les scènes de poursuite à l’intérieur du centre commercial et le ballet des voitures orchestré par Kenza sont-ils les moments les plus rythmés et les plus jouissifs du film, qui souffre néanmoins de quelques artifices déplaisants : incrustation à l’écran de textes déclinant l’identité et les caractéristiques des personnages, ralentis appuyés et répétition des travellings latéraux, musique envahissante.

 

Ce bel exercice (de style ?) qui mélange les genres et les références avec science et bonheur ravira avant tout les cinéphiles, toujours curieux d’avoir des nouvelles de cinématographies lointaines et rares. Il faudra être plus perspicace pour appréhender ce que What a wonderful world, dont les trois initiales sont un clin d’œil volontaire à la virtualité même de son sujet, nous dit du Maroc et de ses contrastes. What a wonderful world sera donc vu comme une curiosité, le travail malin d’un garçon doué et amoureux indéfectible du cinéma.

 

Patrick Braganti

 

Drame marocain – 1 h 39 – Sortie le 10 Janvier 2007

Avec Faouzi Bensaïdi, Nezha Rahil, Fatima Attif