cinéma

A tout de suite de Benoît Jacquot    

 

 

    Après l’indigent Adolphe, on est d’abord très heureux que Jacquot ait retrouvé toute son inspiration et son talent, d’autant plus qu’avec recul et distance A tout de suite est vraiment un bon film, fonctionnant la plupart du temps sur la dualité, étrange et pénétrant, comme une vision onirique. Ce qu’il ne manque pas d’être par son image noir et blanc, surtout noir d’ailleurs, hymne direct et assumé à la Nouvelle Vague avec en ligne de mire le cinéma d’Eustache.

 

    Dans le milieu des années 70, à Paris dans un immense appartement des beaux quartiers, une adolescente de dix-neuf ans – dont l’identité ne sera jamais connue - mène une existence libre et bohème entre un père distant, une mère à l’étranger, une bonne copine et des cours aux Beaux-Arts suivis de loin en loin. Une rencontre dans une boite interlope avec un jeune voyou au regard de braise fait voler en éclats cette vie sage et sans aspérités. Après un braquage foireux, le voyou et son comparse quittent Paris accompagnés de leur deux copines. S’ensuit une cavale qui les conduit en Espagne, puis à Tanger et Casablanca, enfin à Athènes, point final d’une fuite dont la voix off initiale nous laissait déjà entrevoir l’issue ; ce qui n’est pas gênant car l’intérêt majeur du film ne réside pas dans sa trame elle-même.

 

    Il est d’abord à trouver dans sa forme et son esthétique : la photographie au grain épais de Caroline Champetier est tout simplement magnifique, elle utilise le contraste évident du noir et blanc et joue constamment sur la portée des ombres. Nulle volonté de  reconstitution tape-à-l’œil car les rares scènes de rues à Paris et Madrid, qui permettent de dater le film, sont extraites de documents de l’époque, ce qui procure cette curieuse sensation du mélange entre rêve et réalité. La partie parisienne caractérisée par l’errance ennuyée et la fréquentation d’endroits louches n’est pas sans évoquer l’univers de l’écrivain Patrick Modiano.

La fuite des deux couples met un terme à cette ambiance ouatée, presque délétère. Et comme dans toute cavale, il n’y a plus de fixation durable à un endroit. On passe d’un train à l’autre, on change d’hôtel mais jamais il n’y a répit et l’étau se resserre inexorablement sur les deux voleurs. Après avoir transité au Maroc, le quatuor en partance pour la Grèce se sépare pour une sortie d’aéroport moins risquée. Le film change soudain de ton, se concentrant sur la seule Isild Le Besco. Cette escale athénienne ponctuée de rencontres bizarres et décalées au rythme soudain très ralenti avec Le Besco muette et vaporeuse est certes déconcertante, mais constitue le moment crucial de l’histoire, celui où elle commence à saisir vers quoi sa propre vie doit se tourner : retour en France et tentative d’oubli de son amoureux.

 

    A tout de suite n’est pas une nouvelle version de Bonnie and Clyde – on ne sent pas trop la passion qui unit ces deux-là -, car le cinéaste axe son travail sur le parcours d’Isild Le Besco, celui d’une jeune fille qui saisit une occasion – sans doute pas la plus facile – pour s’extirper de son cocon et partir en quête d’absolu. Autant dire que la jeune actrice déjà adepte de rôles exigeants et hors des sentiers battus apporte à son jeu toute son étrangeté, son charme désuet qui colle pile poil à l’ambiance seventies.

Beau comme tout, élégant et paradoxal, objet fascinant et mélancolique, A tout de suite est le meilleur film de Jacquot depuis longtemps. Parce qu’il est aussi un film vivant, moderne et pas désincarné comme les précédents opus.

 

Patrick Braganti

 

Film Français – 1 h 35 – Sortie le 8 Décembre 2004

Avec Isild Le Besco, Ouassini Embarek, Nicolas Duvauchelle