cinéma

Babel de Alejandro Gonzales Inarritu

[1.0]

 

 

En attribuant à Babel le Prix de la mise en scène, le jury du Festival de Cannes, pourtant présidé par le si subtil Wong Kar-Wai, s’est une fois encore complètement décrédibilisé car parler de mise en scène à propos de Babel, c’est réduire toutes les mises en scènes à un montage virtuose et à un sens aigu des enchaînements. Et rien d’autre…

 

Avec son troisième opus qui lui valut les honneurs de la Croisette et de la sélection officielle – au sujet de laquelle on se demande de plus en plus à quoi peut bien servir le défrichage laborieux des sélectionneurs -, le réalisateur mexicain clôt une trilogie sur l’entremêlement des histoires (qui marchent toujours par trois) et leur incidence sur la vie des protagonistes et la marche du monde. L’idée d’un puzzle planétaire où toutes les actions finissent par s’interconnecter et produire des effets surmultipliés au regard de leurs causes infimes et anecdotiques n’a certes rien de répréhensible et au contraire par les démultiplications qu’elle peut engendrer peut se révéler franchement excitante.

 

Ici le minuscule grain de sable déclencheur au long terme de catastrophes se résume à un cadeau, celui d’un fusil à un guide marocain par son client japonais, sans doute conquis par la beauté des déserts traversés et désireux de remercier l’accompagnateur zélé. Quelques mois plus tard, l’arme cédée pour une poignée de drachmes et une chèvre échoue entre les mains de deux gamins marocains. En voulant tester la portée du fusil, vantée par le vendeur, ils blessent une Américaine dans un bus de vacanciers (en mal d’exotisme ?). Pour elle et son mari, la vie bascule soudain, en différant leur retour aux Etats-Unis et obligeant la nourrice mexicaine qui s’occupe de leurs deux enfants à les emmener avec elle au Mexique assister au mariage de son fils qu’elle ne veut en aucune manière rater.

 

Le cinéaste de Amours chiennes nous embarque donc pour un périple qui nous conduit de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique à Tokyo, en passant par le sud marocain. Dans ces trois endroits, il filme la vie de personnages plus ou moins impactés par l’incident survenu sur la piste désertique. Au Maroc, les époux Richard et Susan dont le couple ne semble pas aller au mieux, sont projetés au cœur d’un village reculé, aux mains d’un docteur local, vilipendé puis abandonné par le reste des touristes, victimes malgré eux de la paranoïa mondiale qui fait de la bêtise de deux jeunes frères un attentat terroriste. A Tokyo, plus qu’à l’homme d’affaires recherché pour avoir été le premier détenteur de l’arme incriminée, Alejandro Gonzales Inarritu s’intéresse à sa fille, adolescente sourde-muette, renfrognée et provocatrice, dont le comportement cache mal une blessure impossible à cicatriser et une douleur infinie. Pour Amelia, la gardienne mexicaine, après une cérémonie réussie, le retour avec le passage à la frontière en direction de San Diego dans une voiture pilotée par Santiago, son neveu en état d’ébriété avancé, sonne le glas du début des ennuis.

 

Alors que Amours chiennes nous avait emballés et que 21 Grammes avait continué à nous séduire, pourquoi Babel nous déçoit-il autant ? D’abord, parce que le réalisateur épuise son dispositif de l’enchevêtrement, d’abord novateur lorsqu’il prenait place dans Mexico qui constituait d’ailleurs le quatrième personnage de l’histoire, puis un tantinet répétitif et appliqué avec son second opus, concocté sous les meilleurs auspices d’un cinéma hollywoodien convoité et apprivoisé. Le passage à l’international avec la confrontation aux cultures asiatiques et africaines ne réussit pas à Inarritu, qui ne dépasse jamais le cliché : visages burinés et regard profond des autochtones maghrébins reclus au fond de villages où cohabitent troupeaux et familles nombreuses sous les yeux curieux de touristes caricaturaux (il y a même un Français râleur) ; lycéennes en mini-jupes dans un Japon stéréotypé et Mexicains basanés, abrutis de tequila et de musique. Babel pêche également par sa longueur et sa quête complaisante, pour ne pas dire putassière, de scènes fortes et poignantes voulant faire sens à tout prix : les minutes dans le car avant l’éclatement de la vitre, la virée en boite avec les ados japonais, dont l’ambiguïté charnelle et sexuelle envoient direct aux oubliettes le barbu Pitt et le bourré Bernal.

 

Tout ceci finit par nous ennuyer terriblement. Cela serait un moindre mal si Babel n’était pas empreint d’un moralisme à deux balles. Et, pour le coup, il est très gênant que tout s’arrange du côté du Japon et des Etats-Unis, que le couple américain rejoint allant jusqu’à avoir l’outrecuidance de vouloir dédommager par une liasse de dollars leur sauveur hospitalier, alors que la pauvre Amelia doit quitter illico le pays où elle parvenait à construire sa vie depuis quatorze ans pour retrouver le Mexique.

Revêtu de ses habits de nouveau riche, Alejandro Gonzales Inarritu fait le paon, aveuglé par son savoir-faire et son envergure autoproclamée de cinéaste à thèses et messages, et donne à voir un film clinquant et vide, maniéré et prétentieux. Bref, un ratage.

 

Patrick Braganti

 

Drame américain – 2 h 15 – Sortie le 15 Novembre 2006

Avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Gael Garcia Bernal