cinéma

Big Fish de Tim Burton

 
 

    Beaucoup croyaient Tim Burton définitivement perdu pour le cinéma après Mars Attacks !, exercice de parodie et d’humour ravageur aussi jubilatoire que définitif. Sleepy Hollow, bien que très efficace, plaisant et splendide visuellement, se contentait de recycler les (désormais) habituels chromos gothiques burtoniens avec paresse, et sans véritable enjeu (contrairement à Batman Returns ou Edward Scissorhands par exemple). Le remake de La Planète des singes quant à lui, sans être la catastrophe absolue que certains se plaisent à décrire, avait indubitablement manqué sa cible, en même temps qu’elle avait une bonne fois pour toutes ( ?) dissuadé son auteur de remettre les pieds dans une mécanique logistique d’une telle ampleur.

 

    D’emblée, Big Fish promet donc un retour à du cinéma plus artisanal, personnel et émouvant, du Burton pur jus en somme, grâce à cette histoire de communication troublée entre un fils (Billy Crudup, vu notamment dans Presque célèbre) et son fabulateur flamboyant de père (Albert Finney/Ewan McGregor).

 

    La réussite n’est pourtant pas totale, et on se gardera bien de pousser un ouf ! de soulagement devant le retour du cinéaste prodigue… tout en ayant de (très) bonnes raisons d’espérer.

 

    Big Fish est à n’en pas douter un film de rupture : difficile en effet de ne pas voir dans le personnage de Crudup, la figure de Burton, à la recherche de l’authenticité, de la vérité, au milieu des récits fantaisistes de son père. Le réalisateur aménagera ainsi de nombreuses séquences « réelles » inédites pour lui (nombreuses scènes mettant en scène un Finney souffrant), jamais déformées par le prisme de son imaginaire, chose que l’on ne pouvait imaginer il y a quelques années. C’est ce qui rend le film intéressant et bancal à la fois : on ne le sent en effet encore pas très à l’aise dans ce registre, et la fluidité de son récit pâtit un  peu de ces incessants va-et-vient entre séquences réalistes et oniriques.

 

    Car il est bien sûr encore très attaché à celle-ci, très révélatrices de ses préoccupations profondes. Ainsi de la très belle séquence de la sorcière, qui lui fait enchaîner le plan de cette dernière fermant la porte, à celui de Jessica Lange l’ouvrant, faisant ainsi un lien direct entre les 2 personnages, les mettant à égalité dans un statut de figure maternelle : Lange lui a donné la vie, la sorcière lui a révélé sa mort. De la même façon, lorsque Edward Bloom est aux prises avec le loup-garou que tout le monde craint, il réalise que celui-ci, comme tous les freaks, souffre avant tout de solitude à travers le regard des autres. Les prétendus monstres, les créatures de la nuit, le bizarre, le merveilleux, sont donc comme toujours chez lui une source d’enchantement, une véritable matrice. Ils sont intégrés à la vie quotidienne, de la même façon que le jeune Edward Bloom intègre l’image de sa propre mort, qui n’est plus dès lors source d’angoisse, mais plutôt de libération.

 

    Dommage qu’il ne fasse pas (encore) preuve des mêmes fulgurances lorsqu’il s’agit de véritablement mener à terme la relation père-fils. Peut-être le sujet lui tenait-il trop à cœur (comme son héros, Burton a eu un fils après avoir perdu son père), lui faisant parfois verser dans un sentimentalisme un peu grossier duquel on le croyait pourtant préservé. Il n’en reste pas moins qu’un même temps qu’il offre à voir de belles séquences de transfiguration du réel où son sens du baroque ludique s’exprime avec le talent qu’on lui connaît, Big Fish nous montre un cinéaste qui doute, qui se remet en cause, et qui, sans pour autant tirer un trait sur ce qu’il a accompli, semble désirer s’exprimer dans un autre registre. La (belle) aventure n’est donc sans doute pas terminée.

 

Laurent

 

États-Unis – 2h05 – sortie le 3 Mars 2004