cinéma

Ca brûle de Claire Simon

[4.0]

 

 

Il serait facile pour évoquer le dernier film de Claire Simon de convoquer tout le vocabulaire ayant rapport au feu, parler ainsi d’un embrasement des sens, d’une passion inexorable et unilatérale, destinée à se consumer au propre comme au figuré. Facile, et réducteur surtout, pour une œuvre incandescente et sensorielle qui nous propulse au cœur de la vie de Livia, adolescente de quinze ans, dans un village provençal défiguré par les pavillons modernes sans âme où rôtissent des occupants languides sous un soleil de plomb qui assèche et attise.

Vivant avec sa mère – qui s’évertue à parler en anglais pour des motifs inexpliqués – et la copine de celle-ci, Livia passe son temps à s’occuper de son cheval ET qu’elle bichonne avec application et tendresse, sur lequel elle se promène dans la campagne comme dans le village, fière et indépendante amazone. De sa position dominante, elle scrute les alentours avec morgue et colère. Car Livia est une jeune fille en colère, en rage contre sa mère qui n’y connaît rien aux chevaux, son père absent et la société en général.

Suite à une chute de cheval, elle est secourue par Jean Susini, pompier à la caserne locale. Pour Livia, c’est le coup de foudre, la passion qui s’abat sur elle, l’amène à sans cesse rechercher la présence de Jean et à commettre l’irréparable : provoquer un incendie dévastateur et meurtrier. Le titre annonce d’emblée la couleur et l’évolution de l’histoire est si évidente qu’on en dévoile l’issue sans gêne car les qualités de Ca brûle ne résident pas dans sa trame. Ou pas seulement.

 

Ce qui intéresse Claire Simon, dont le passé de documentariste resurgit dans la dernière partie du film, c’est comment une jeune fille bouleversée par une passion amoureuse naissante et sans retour – le sobre Jean n’exprime au mieux qu’une sollicitude amicale pour Livia qu’il a secourue – et habitée d’une fureur solitaire en vient à déclencher une catastrophe, comme mode d’expression. « Une espèce de terrorisme à usage individuel » comme qualifie elle-même la cinéaste l’acte de Livia.

Claire Simon appréhende avec la distance suffisante et le regard exacerbé, jamais naïf ni complaisant, le monde étrange de l’adolescence, le fameux âge des possibles : celui où garçons et filles se jaugent et s’affrontent comme de jeunes animaux dans l’objectif d’essayer, d’épuiser les possibles et pas forcément de construire. Livia sur sa monture, ce qui la singularise et provoque l’agressivité envieuse des garçons, juchés sur leur scooter pétaradant, se coltine avec ceux-ci dans des jeux violents (rodéo cheval contre scooter ), ou initiatiques (apprendre à embrasser).

Plutôt revêche et peu facile d’accès, Livia ne suscite aucune sympathie excessive de la part du spectateur. De son côté, Jean reste neutre, à la fois lointain et présent. On est parfois crispés, énervés par les partis pris de mise en scène (gros plans sur les visages, mobilité de la caméra) et pourtant l’alchimie a lieu, sans doute parce que le déclenchement et l’extension du feu ont quelque chose de fascinant, d’attirant et d’angoissant. L’utilisation de tons orange et rouge, le filmage dans une fumée cotonneuse et absorbante confèrent à Ca brûle une dimension réaliste et onirique.

 

Parfois exaspérant, cédant à quelques tics de fabrication, Ca brûle n’en reste pas moins un film viscéral et organique, habillé d’une bande-son magnifique. Une expérience de cinéma, tout simplement, qui se rapproche d’ailleurs du dernier film d’une autre Claire : Denis pour L’Intrus.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 51 – Sortie 16 Août 2006

Avec Camille Varenne, Gilbert Melki, Kader Mohamed